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Je présente ici une petite série de citations issues de diverses lectures. Aucune classification précise, les titres des ouvrages sont mentionnés.

 

Hermann Hesse : Siddhartha
« Quand il rencontrait des femmes, son regard devenait de glace ; de sa bouche jaillissait le mépris quand il passait dans une ville auprès des gens bien vêtus. Il vit des marchands qui trafiquaient, des princes qui allaient à la chasse, des personnes en deuil qui pleuraient leurs morts, des filles qui s'offraient, des médecins qui soignaient des malades, des prêtres qui fixaient le jour des semailles, des amants qui s'aimaient, des mères qui donnaient le sein à leurs enfants et tout cela ne semblait pas mériter un de ses regards, tout mentait, tout sentait le mal, tout sentait le mensonge, tout n'était que feintes : la raison, le bonheur et la beauté, tout n'était qu'une décomposition cachée. Le monde avait un goût bien amer et la vie n'était qu'une torture ! »

Hermann Hesse : Siddhartha
Siddhartha discutant avec Govinda :« Je crois bien qu'en effet, cette chose que nous nommons apprendre n'existe pas. Il n'y a qu'un savoir, ô mon ami, et qui est partout, c'est l'Atman, qui est en moi, en toi, et dans chaque être. Et voilà pourquoi je commence à croire qu'il n'est pas de plus grand ennemi du vrai Savoir que de vouloir savoir à tout prix, d'apprendre »

Hermann Hesse : Siddhartha
« Siddhartha était heureux de l'amitié et de la bonté du batelier et il souriait : “Il est comme Govinda, pensa-t-il ; tous ceux que je rencontre sur ma route sont comme Govinda. Tous auraient droit à des remerciements et tous, au contraire, me témoignent de la gratitude. Tous se montrent serviles, tous ne demandent qu’à être votre ami, à obéir; peu réfléchissent. Les hommes sont des enfants.”

Hermann Hesse : Siddhartha
“ce fut lentement aussi que Siddhartha, au milieu de ses richesses toujours croissantes, prit lui-même un peu des manières des autres hommes, de leur puérilité et de leur pusillanimité. Et pourtant il leur portait envie, et ce, d'autant plus qu'il leur ressemblait davantage. La chose qu'il leur enviait le plus, parce qu'elle lui faisait entièrement défaut, c'était l'importance qu'ils savaient donner à leur existence, la passion qu'ils mettaient à leurs plaisirs et à leurs peines, le bonheur anxieux, mais doux qu'ils trouvaient à leurs éternelles manies amoureuses. Ces hommes s'attachaient toujours plus à eux-mêmes, aux Femmes, à leurs enfants, à l'honneur ou à l'argent, à leurs projets ou â leurs espérances. Mais c'est justement ce qu'il n'apprit pas d'eux : cette joie naïve, cette innocente folie ; il n'apprit d'eux que ce qui les rendait désagréables et faisait déjà l'objet de tout son mépris.”

Hermann Hesse : Siddhartha
“Quand il lui arrivait de passer des voyageurs de condition inférieure, des marchands, des soldats, des femmes de toutes catégories, ces gens-là ne lui semblaient plus aussi étrangers qu'autrefois; il les comprenait, il comprenait leur existence que ne réglaient ni idées ni opinions, mais uniquement des besoins et des désirs: il s'y intéressait et se sentait lui-même comme eux. Quoiqu'il approchât de la perfection et qu'il portât toujours les traces de sa dernière meurtrissure, il lui semblait pourtant que ces hommes simples étalent ses frères ; leurs vanités, leurs convoitises et leurs travers perdaient leur ridicule à ses yeux, ils valaient la peine d’être compris, d'être aimés et même vénérés. L'amour aveugle d’une mère pour son enfant, la sotte présomption d'un père aveuglé par son attachement pour un fils unique, l’irrésistible et folle envie qu'éprouve une jeune femme coquette de se parer de; bijoux pour attirer sur soi les regards admirateurs des hommes, tous ces besoins, tous ces enfantillages: toutes ces aspirations naïves. Déraisonnables, mais dont la réalisation donne à la vie un si puissant élément de force, ne semblaient plus maintenant aux yeux de Siddhartha choses si négligeables, si puériles ; il comprenait que c'était pour elles que les hommes vivaient, que c’était pour elles qu'ils accomplissaient l'impossible, pour elles qu'ils faisaient de longs voyages, pour elles qu'ils s'entre-tuaient, qu'ils enduraient des souffrances infinies, qu’ils supportaient tout ; et c'est pour cela qu'il se sentait capable de les aimer ; il voyait la vie, la chose animée, l'indestructible, le Brahma dans chacune de leurs passions dans chacun de leurs actes.”

Michel Serres : Andromaque, veuve noire
“Tout le mal du monde vient-il de l’appartenance ? Sans doute. Tout le mal du monde vient de ces limites, de ces frontières fermées, enfin des comparaisons et des rivalités qu’elles suscitent. »

Michel Serres : Andromaque, veuve noire
“Qui s’abandonne au souvenir vieillit, tombe malade et meurt, impuissant: que peut-il à son passé ? Qu’il conçoive un projet, il recouvre santé, force, jeunesse et joie, se lève et court comme le temps. Les collectivités, sur ce point, ne diffèrent pas des personnes. Une société sans projet construit des musées, ressasse ses erreurs et ses défaites, se déchire les entrailles, périclite... que va-t-elle devenir ?”

Michel Serres : Andromaque, veuve noire
“L’intelligence, nous cherchons à la définir, mais en vain, faute sans doute d’intelligence. Or, dès qu’il ouvre la bouche, nous repérons aussitôt le sot qui ne dit que du prévisible, soutient constamment des opinions rigides, répète la revue ou la télé du jour, succombe sans défense au corporatisme... rien de neuf ne s’échappe de ses dents redondantes. La répétition tombe dans l’instinct de mort. Du sourire intelligent jaillit au contraire une vue inattendue, telles idée ou expression imprévisibles. Qui m’informe ? Celui, précisément, qui m’apprend de l’improbable.”

Michel Serres : Andromaque, veuve noire
“Désirez-vous la gloire ? Ne faites pas, dites, parlez de ceux qui font. Voulez-vous de l'argent ? Le héros sue, le travailleur produit, le savant invente, le sportif bat des records... vendus à des milliers d’exemplaires ou écoutés par des millions de spectateurs, ceux qui en parlent font une fortune. Assez d’actes : des discours, des représentations ! Ne vous fatiguez point à conduire un navire, mettez en scène le naufrage de son modèle en carton-pâte, sans vous préoccuper de la véracité des choses de la mer. N’inventez ni ne produisez, critiquez.”

Claude Levi Strauss : Pensée sauvage
“Le marxisme — sinon Marx lui-même - a trop souvent raisonné comme si les pratiques découlaient immédiatement de la praxis. Sans mettre en cause l’incontestable primat des infrastructures, nous croyons qu'entre praxis et pratiques s’intercale toujours un médiateur, qui est le schème conceptuel par l’opération duquel une matière et une forme, dépourvues l’une et l’autre d’existence indépendante, s’accomplissent comme structures, c'est - à - dire comme êtres à la fois empiriques et intelligibles. C’est à cette théorie des superstructures, à peine esquissée par Marx, que nous souhaitons contribuer, réservant à l’histoire - assistée par la démographie, la technologie, la géographie historique et l’ethnographie - le soin de développer l'étude des infrastructures proprement dites, qui ne peut être principalement la nôtre, parce que l'ethnologie est d'abord une psychologie.”

Jean Claude Guillebaud : Le principe d'humanité
« Pour Pierre Lévy, la fin des territoires annonce la fin des égoïsmes ; la mobilité permanente de l'homme planétarisé qui change constamment de métier, de domicile, d'amour, de croyance est synonyme d'absolue liberté ; la rupture des liens anciens (famille, nation, entreprise, tradition...) ouvre des espaces illimités à notre nomadisme ; la technoscience nous convie à la création continue d'un monde en expansion indéfinie ; le marché, qui se substitue aux anciennes régulations, devient le principal incitateur de la créativité ; l'argent lui-même, bientôt unifié sous la forme d'une monnaie mondiale, n'est qu'une expression de la fluidité existentielle et du paysage libérateur. À toutes ces prédictions, Pierre Levy en ajoute une autre : l'inéluctable disparition des frontières et une liberté d'immigration enfin totale et permanente. "Nous avançons à grands pas vers la proclamation de la confédération planétaire", S'exclame-t-il. Imaginez la fête qui s'ensuivra ! »

Jean Claude Guillebaud : Le principe d'humanité
« Si l’on en doute encore, il suffit d‘examiner ce qui se passe aujourd'hui sur un troisième terrain juridique: celui du droit pénal. C‘est sans doute là, malgré tout, que les dérives sont les plus visibles et les plus choquantes. Rappelons d’abord le contexte. Nos sociétés connaissent une pénalisation grandissante. Les tenues de l’analyse sont désormais connues: à mesure que s’affaiblissent les limitations morales, que disparaissent les affiliations collectives, que sont ruinés les grands systèmes de croyances, que le lien social se défait, la "sanction pénale" apparaît comme la dernière régulation possible. Elle tend donc mécaniquement à se renforcer et à s’alourdir. Plus une société est atomisée, plus elle devient répressive. Tel est le paradoxe auquel sont confrontées la plupart des démocraties modernes. »

Jean Claude Guillebaud : Le principe d'humanité
« L'explosion des inégalités à l'échelle planétaire, mais aussi à l'intérieur des pays du Nord et du Sud, est une évidence maintes fois démontrée. L'atomisation sociale qui l'accompagne, dopée par l'individualisme et la soif d'autonomie, se retourne paradoxalement contre l'individu. Ce dernier est assurément plus autonome qui il ne l'a jamais été dans l'histoire, mais il est en même temps précarisé, désaffilié, privé des anciennes structures collectives, ou législatives, qui lui assuraient une protection minimale. »

Jean Claude Guillebaud : Le principe d'humanité
« Le reflux des grandes croyances collectives, les désillusions de tous ordres qui ont marqué la fin du XX ° siècle avaient creusé un vide, un manque. Voici qu'il se trouvait comblé par un nouveau paradigme : la programmation rigoureuse des êtres vivants, humains compris, en fonction de données inscrites dans leur ADN. On a voulu croire que cette «programmation» de nature scientifique prenait le relais des explications traditionnelles -sociologiques, économiques ou culturelles- dont la faillite semblait avérée. »

Jean Claude Guillebaud : Le principe d'humanité
« Pour Heidegger, le désenchantement du monde, son asservissement par la technique, l’assujettissement de l’humanitas à la rationalité marchande ne sont pas des atteintes portées à l’humanisme, mais l’aboutissement de l’humanisme lui-même. C’est à dire du projet d’artificialisation complète de la nature par la culture humaine, d’un arraisonnement du naturel par le culturel, d’une volonté de maîtrise absolue du réel par la rationalité humaine. Cette volonté, la grande rupture des Lumières en fut, au XVIIIe siècle, le point de départ prometteur, et l’utopie communiste en devint, au XXe, la radicalisation criminelle. »

Antonio R. Damasio
« Être rationnel ce n'est pas se couper de ses émotions. Le cerveau qui pense, qui calcule, qui décide n'est pas autre chose que celui qui rit, qui pleure, qui aime, qui éprouve du plaisir ou du déplaisir. Le cœur a ses raisons que la raison... est loin d'ignorer. »

Georges Vacher
« l'influence du christianisme, non pas en raison des dogmes, mais surtout de la morale dangereuse de cette religion, a puissamment agi pour réduire les peuples à l'infériorité. À la formule célèbre qui résume le christianisme laïcisé de la Révolution : Liberté, égalité, fraternité, nous répondrons : Déterminisme, Inégalité, Sélection ! »

Arthur Koestler : Du Zero à l'infini
Roubachof dans sa cellule : « Il siffla quelques mesures et se mit à sourire — il sifflait toujours horriblement faux, et seulement quelques jours auparavant quelqu'un lui avait dit : “Si le No 1 était musicien, il aurait depuis longtemps trouvé un prétexte pour te faire fusiller.”
“il en trouvera bien un”, avait-il répondu sans y croire. »

Arthur Koestler : Du Zero à l'infini
« Notre volonté était pure et dure, nous aurions dû être aimés du peuple. Mais il nous déteste. Pourquoi sommes-nous ainsi odieux et détestés ?
Nous vous avons apporté la vérité, et dans notre bouche elle avait l'air d'un mensonge. Nous vous avons apporté la liberté, et dans nos mains elle ressemble à un fouet. Nous vous avons apporté la véritable vie, et là où notre voix s'élève les arbres se dessèchent et l'on entend bruire les feuilles mortes. Nous vous avons apporté la promesse de l'avenir, mais notre langue bégaie et glapit... »

Arthur Koestler : Du Zero à l'infini
Roubachof à Ivanof : « Un mathématicien a dit une fois que l'algèbre était la science des paresseux — on ne cherche pas ce que représente x, mais on opère avec cette inconnue comme si on en connaissait la valeur. Dans notre cas, x représente les masses anonymes, le peuple. Faire de la politique, c'est opérer avec x sans se préoccuper de sa nature réelle. Faire de l'histoire, c'est reconnaître x à sa juste valeur dam l'équation. »

René Girard : Sanglantes Origines
« Les observations objectives du phénomène sont abondantes, mais elles ne font pas davantage l'affaire. Le problème est qu'elles sont trop abondantes. La victimisation pratiquée par d'autres nous paraît tellement stupide, tellement insensée et malgré tout tellement répandue qu'elle soulève notre indignation. Il est impossible pour nous d'y voir quelque chose de “sincère” et de spontané ; de croire que les participants sont vraiment dupes de leur propre rôle dans le mécanisme. Il s'agit, pensons-nous, d'un dessein criminel. Notre entendement est brouillé. Ceux que nous tenons pour des faiseurs de boucs émissaires, voilà que nous sommes tentés d'en faire... nos propres boucs émissaires. »

René Girard : Sanglantes Origines
« Au XIXe siècle, les spécialistes de religion comparée insistaient beaucoup sur les similitudes spectaculaires entre la Bible et les mythes du monde entier. Et ils conclurent trop vite que la Bible était un recueil de mythes identiques à tous les autres. Étant des “positivistes” et percevant un peu partout une plus ou moins grande ressemblance entre les données qu'ils étudiaient, ils ne notèrent aucune différence réelle entre la Bible et le reste. Un seul penseur a perçu cette différence cruciale : il s'agit de Friedrich Nietzsche.
Dans la pensée de Nietzsche, du moins dans sa phase tardive, la dichotomie entre maîtres et esclaves doit d'abord se comprendre comme une opposition entre, d'un côté, les religions mythiques, qui expriment le point de vue des persécuteurs et considèrent toutes les victimes comme sacrifîables, et d'autre part la Bible et surtout ks Évangiles, qui “calomnient” et sapent à la base les religions du premier groupe - et, en réalité, toutes les autres religions, car les Évangiles dénoncent l'injustice qu'il y a, dans tous les cas de figure, à sacrifier une victime innocente. Je pense que Nietzsche a perdu la raison à cause du choix fou qu'il a fait de se ranger délibérément dans le camp de la violence et du mensonge mythologiques, contre celui de la non-violence et de la véracité bibliques. »

Walter Burkert : Sanglantes Origines
« La distribution de nourriture ne se trouve que chez l'homme ; c'est l'un des universaux de la civilisation humaine ; et elle est fondamentalement liée à la distribution de viande, non à celle de concombres ou de noix de coco. Le partage des aliments n'existe pas chez les primates, à l'exception des chimpanzés qui agissent dans ce sens lorsqu'ils chassent et mangent de petites bêtes. (La distribution, dans ce cas, repose plutôt sur la mendicité ; il semble néanmoins que cela représente, par rapport à la distribution humaine de viande, une sorte d'ébauche.) »

Kundera : L'insoutenable légèreté de l'être
« Un ou deux ans après avoir quitté la Bohême, dit se trouva tout à fait par hasard à Paris le jour anniversaire de l'invasion russe. Une manifestation de protestation avait lieu ce jour-là et elle ne put s'empêcher d'y participer. De jeunes Français levaient le poing et hurlaient des mots d'ordre contre l'impérialisme soviétique. Ces mots d'ordre lui plaisaient, mais elle constata avec surprise qu'elle était incapable de crier de concert avec les autres. Elle ne put rester que quelques minutes dans le cortège.
Elle fit pan de cette expérience à des amis français. Ils s'étonnaient : “Tu ne veux donc pas lutter contre l'occupation de ton pays ?” Elle voulait leur dire que le communisme, le fascisme, toutes les occupations et toutes les invasions dissimulent un mal plus fondamental et plus universel ; l'image de ce mal, c'était le cortège de gens qui défilent en levant le bras et en criant les mêmes syllabes à l'unisson. Mais elle savait qu'elle ne pourrait pas le leur expliquer. Elle se sentit gênée et préféra changer de sujet.

Michel Serres : Variations sur le corps
« Étudiez, apprenez, certes, il en restera toujours quelque chose, mais, surtout, entraînez le corps et faites-lui confiance, car il se souvient de tout sans poids ni encombrement. Seule notre chair divine nous distingue des machines ; l'intelligence humaine se distingue de artificielle par le corps, seul. »

Michel Serres : Variations sur le corps
« Je soupçonne d'ignorance méchante les analyses pathologiques du mysticisme parce qu'elles versent sa force dans une faiblesse maladive, et son acte dans une passivité. Drogues coûteuses ou maladies mentales produisent, certes, des hallucinations dont les décors de carton caricaturent les authentiques extases des sains. »

Michel Serres : Variations sur le corps
« Donc il m'arrive de rêver que, contrairement à nos frères animaux livrés, crocs, griffes et becs, aux lois darwiniennes, l'homme a protégé le faible au lieu de le tuer, parce que, debout, il exposait lui-même ses faiblesses et tout spécialement sa femelle enceinte. Celle-ci me pousse à penser que, dans la position quadrupède, elle montre son sexe par-derrière, alors que le mâle cache le sien sous le ventre; qu'ils se relèvent tous deux, tout s'inverse, le mâle montre ce que le femme cache. Notre sexualité diffère de celle des animaux et de nos ancêtres, séparés de nous par cette inversion dès notre station debout. Passer de la position a tergo à un face-à-face imprévu amène des regards souriants, une aménité délectable, des mots nouveaux; la bousculade finit en cour d'amour. »

Michel Serres : Variations sur le corps
« Que voici : que rien ne résiste à l'entrainement, dont l'ascèse répète des gestes peu naturels (drop, service au tennis, fosbury flop, yoga...) et rend aisées les vertus nécessaires de concentration (basket-ball, saut en hauteur), de courage (rugby), de patience, de maîtrise de l'angoisse, en montagne, par exemple ; qu'il n'y a pas d'œuvre sans règle, quasi monastique, de l'emploi du temps, dont le sportif de haut niveau tient compte : vie assujettie aux rythmes du corps, hygiène stricte du sommeil, alimentation sans drogue ; que le chercheur qui triche ou ment ne trouve ni n'invente, de même que le sauteur en hauteur le triche ni ne ment avec la pesanteur... cette règle lie fer tourne le dos à tous les usages des collectifs professionnel, politique, médiatique, universitaire... qui couronnent les gangsters et placent les médiocres au pouvoir. »

Michel Serres : Variations sur le corps
« Faute de comprendre la vertu, voici que l'ensemble des vices prend la belle unité d’une cohérence : une vie entière se voue à l'inflation, à l'agrandissement d'une masse qui s'expanse. Cette croissance évolue selon une pente d'allure narcotique : l'avare, le paresseux et le gourmand se droguent de sommeil, d'alcool ou d'argent ; il faut augmenter la dose de fureur, de haine ou de gloire pour rester longtemps enchanté de colère, d'envie ou d'orgueil. Pourquoi ne parlons-nous plus de la vertu ? Parce que le monde où nous vivons se construit, tout justement, sur la croissance, générale et quantifiable ; l'économie, la finance, la
consommation et le progrès innovateur des sciences et des techniques, tout ce qui paraît sérieux et lourd,
semblent la rendre aussi nécessaire qu'un destin, aussi indispensable que l'assuétude. Du coup, notre culture elle-même ressemble à s'y méprendre à une narcose croissante qui asservit à sa dépendance. Pourquoi les enfants se droguent-ils ? Pour imiter leurs parents, intoxiqués d'argent, de travail, d'emploi du temps, de consommation, de représentation... soumis à des prises horaires obligatoires, plongés dans l'enchantement de la croissance. Les jeunes générations obéirent-elles jamais avec plus de soumission ? »

Michel Serres: Variations sur le corps
« L'origine anthropologique de la connaissance se noue dans une simulation si rapprochée que l'amour et la haine s'y miment et s'y mêlent, que le mime y mêle l'amour à la haine, que la haine y mime l'amour pour se mêler à lui, et où, enfin, l'amour hait le mime : voilà les cordes du nœud originaire et le secret de son dénouement. »

Michel Serres : Variations sur le corps
« ... nul n'échappe à la chute des corps. Répandu par la publicité, ce moyen, cher, reste assez inefficace. Le deuxième exige exercice physique et régime : se coucher tôt, se lever de même, abandonner sucres, graisses, alcool et tabac, marcher deux heures par jour, ne pas dételer. Moins connu, ce moyen-là, peu cher, et plus efficace, demande déjà une morale. Enfin, jeunes ou vieux, les gâteux souffrent de ramollissement cérébral. On peut distinguer déjà, on distinguera mieux demain les radoteurs impotents qui, depuis trente ans, regardent tous les soirs les téléfilms que l'Amérique exporte pour s'assurer la débilité du monde, des intelligences vives et vertes qui passent leurs soirées à lire des livres difficiles ; vivant dans l'excellence de pensée, elles rient. L'imbécile se mesure à la répétition et à la tristesse et l'intelligence fraîche à la nouveauté gaie. Les plus belles civilisations commencent par le rire. Pourquoi hésiter à le dire ? La culture protège seule de la sénilité, produite, au contraire, par l'absence d'exercice intellectuel. Efficace et gratuit, ce dernier moyen de conserver le dynamisme juvénile reste, ô surprise, inconnu. Ami médecin, prescris-tu à tes patients quelque page difficile assaisonnée de raisonnement comme remède à la débilité ambiante qui nous menace tous, toi comme moi, de vieillissement foudroyant ? »

Camus : Le Mythe de Sisyphe
« De même et pour tous les jours d'une vie sans éclat, le temps nous porte. Mais un moment vient toujours où il faut le porter. Nous vivons sur l'avenir : « demain », « plus tard », « quand tu auras une situation », « avec l'âge tu comprendras ». Ces inconséquences sont admirables, car enfin il s'agit de mourir. Un jour vient pourtant et l'homme constate ou dit qu'il a trente ans. Il affirme ainsi sa jeunesse. Mais du même coup, il se situe par rapport au temps. Il y prend sa place. Il reconnaît qu'il est à un certain moment d'une courbe qu'il confesse devoir parcourir. Il appartient au temps et, à cette horreur qui le saisit, il y reconnaît son pire ennemi. »

Camus: Le Mythe de Sisyphe
« De ce corps inerte où une gifle ne marque plus, l'âme a disparu. Ce côté élémentaire et définitif de l'aventure fait le contenu du sentiment absurde. Sous l'éclairage mortel de cette destinée, l'inutilité apparaît. Aucune morale, ni aucun effort ne sont à priori justifiables devant les sanglantes mathématiques qui ordonnent notre condition. »

Camus: Le Mythe de Sisyphe
« Du moins faut-il savoir jusqu'où elles sont parvenues. À ce point de son effort, l'homme se trouve devant l'irrationnel. Il sent en lui son désir de bonheur et de raison. L'absurde naît de cette confrontation entre l'appel humain et le silence déraisonnable du monde. C'est cela qu'il ne faut pas oublier. C'est à cela qu'il faut se cramponner parce que toute la conséquence d'une vie peut en naître. L'irrationnel, la nostalgie humaine et l'absurde qui surgit de leur tête-à-tête, voilà les trois personnages du drame qui doit nécessairement finir avec toute la logique dont une existence est capable. »

Camus: Le Mythe de Sisyphe
« Dans tous ces cas, du plus simple au plus complexe, l'absurdité sera d'autant plus grande que l'écart croîtra entre les termes de ma comparaison. Il y a des mariages absurdes, des défis, des rancœurs, des silences, des guerres et aussi des paix. Pour chacun d'entre eux, l'absurdité naît d'une comparaison. Je suis donc fondé à dire que le sentiment de l'absurdité ne naît pas du simple examen d'un fait ou d'une impression mais qu'il jaillit de la comparaison entre un état de fait et une certaine réalité, entre une action et le monde qui la dépasse. L'absurde est essentiellement un divorce. Il n'est ni dans l'un ni dans l'autre des éléments comparés. Il naît de leur confrontation. »

Camus : Le Mythe de Sisyphe
« Il y a des mariages absurdes, des défis, des rancœurs, des silences, des guerres et aussi des paix. Pour chacun d'entre eux, l'absurdité naît d'une comparaison. Je suis donc fondé à dire que le sentiment de l'absurdité ne naît pas du simple examen d'un fait ou d'une impression mais qu'il jaillit de la comparaison entre un état de fait et une certaine réalité, entre une action et le monde qui la dépasse. L'absurde est essentiellement un divorce. Il n'est ni dans l'un ni dans l'autre des éléments comparés. »

Voltaire : Lettres philosophiques
« la nécessité de parler, l'embarras de n'avoir rien à dire et l'envie d'avoir de l'esprit sont trois choses capables de rendre ridicule même le plus grand homme; ne pouvant trouver des pensées nouvelles, ils ont cherché des tours nouveaux, et ont parlé sans penser, comme des gens qui mâcheraient à vide, et feraient semblant de manger en périssant d'inanition. »

Voltaire : Lettres philosophiques
« Je crois même que tous ces livres qu'on a faits depuis peu pour prouver la Religion chrétienne, sont plus capables de scandaliser que d'édifier. Ces auteurs prétendent-ils en savoir plus que Jésus-Christ et les Apôtres ? C'est vouloir soutenir un chêne en l'entourant de roseaux; on peut écarter ces roseaux inutiles sans craindre de faire tort à l'arbre. »

Voltaire : Lettres philosophiques
« Encore une fois, il est impossible à la nature humaine de rester dans cet engourdissement imaginaire; il est absurde de le penser; il est insensé d'y prétendre. L'homme est né pour l'action, comme le feu tend en haut et la pierre en bas. N'être point occupé et n'exister pas est la même chose pour l'homme. Toute la différence consiste dans les occupations douces ou tumultueuses, dangereuses ou utiles. »

Claude Lévi-Strauss : Tristes Tropiques
« Aujourd'hui où des îles polynésiennes noyées de béton sont transformées en porte-avions pesamment ancres au fond des mers du Sud, où l'Asie tout entière prend le visage d'une zone
l'Afrique, où l'aviation commerciale et militaire flétrit la candeur de la forêt américaine ou mélanésienne avant même d'en pouvoir détruire la virginité, comment la prétendue évasion du voyage pourrait-elle réussir autre chose que nous confronter aux formes les plus malheureuses de notre existence historique ? Cette grande civilisation occidentale, créatrice des merveilles dont nous jouissons, elle n'a certes pas réussi à les produire sans contrepartie. Comme son œuvre la plus fameuse, pile où s'élaborent des architectures d'une complexité inconnue, l'ordre et l'harmonie de l'Occident exigent l'élimination d'une masse prodigieuse de sous-produits maléfiques dont la terre est aujourd'hui infectée. Ce que d'abord vous nous montrez, voyages, c'est notre ordure lancée au visage de l'humanité. »

Claude Lévi-Strauss : Tristes Tropiques
« Au même moment, d'ailleurs, et dans une île voisine les Indiens s'employaient à capturer des blancs et à les faire périr par immersion, puis montaient pendant des semaines la garde autour des noyés afin de savoir s'ils étaient ou non soumis à la putréfaction. De cette comparaison entre enquêtes se dégagent deux conclusions : les blancs invoquaient les sciences sociales alors que les Indiens avaient plutôt confiance dans les sciences naturelles ; et, tandis que les blancs proclamaient que les Indiens étaient des bêtes, les seconds se contentaient de soupçonner les premiers d'être des dieux. À ignorance égale, le dernier procédé était certes plus digne d'hommes. »

Claude Lévi-Strauss : Tristes Tropiques
« Au terme de quatre ou cinq mille ans d'histoire, on se plaît à imaginer qu'un cycle s'est bouclé ; que la civilisation urbaine, industrielle, bourgeoise, inaugurée par les villes de l’Indus, n'était pas si différente dans son inspiration profonde de celle destinée, après une longue involution dans la chrysalide européenne, à atteindre la plénitude de l'autre côté de l'Atlantique. Quand il était encore jeune, le plus Ancien Monde esquissait déjà le visage du Nouveau. »

Claude Lévi-Strauss : Tristes Tropiques
« Qu'il s'agisse des villes momifiées de l'Ancien Monde ou des cités fœtales du Nouveau, c'est à la vie urbaine que nous sommes habitués à associer nos valeurs les plus hautes sur le plan matériel et spirituel. Les grandes villes de l'Inde sont une zone ; mais ce dont nous avons honte comme d'une tare, ce que nous considérons comme une lèpre, constitue ici le fait urbain réduit à son expression dernière : l'agglomération d'individus dont la raison d'être est de s'agglomérer par millions, quelles que puissent être les conditions réelles. Ordure, désordre, promiscuité, frôlements ; ruines, cabanes, boue, immondices ; humeurs, fiente, urine, pus, sécrétions, suintements : tout ce contre quoi la vie urbaine nous paraît être la défense organisée, tout ce que nous haïssons, tout ce dont nous nous garantissons à si haut prix, tous ces sous-produits de la cohabitation, ici ne deviennent jamais sa limite. Ils forment plutôt le milieu naturel dont la ville a besoin pour prospérer. À chaque individu, la rue, sente ou venelle, fournit un chez soi où il s’assied, dort, ramasse sa nourriture à même une gluante ordure. Loin de le repousser, elle acquiert une sorte de statut domestique du seul fait d'avoir été exsudée, excrétée, piétinée et maniée par tant d'hommes. »

Claude Lévi-Strauss : Tristes Tropiques
« L'ensemble des coutumes d'un peuple est toujours marqué par un style ; elles forment des systèmes. Je suis persuadé que ces systèmes n'existent pas en nombre illimité, et que les sociétés humaines comme les individus — dans leurs jeux, leurs rêves ou leurs délires — ne créent jamais de façon absolue, mais se bornent à choisir certaines combinaisons dans un répertoire idéal qu'il serait possible de reconstituer. En faisant l'inventaire de toutes les coutumes observées, de toutes celles imaginées dans les mythes, celles aussi évoquées dans les jeux des enfants et des adultes, les rêves des individus sains ou malades et les conduites psycho-pathologiques, on parviendrait à dresser une sorte de tableau périodique comme celui des éléments chimiques, où toutes les coutumes réelles ou simplement possibles apparaîtraient groupées en familles, et où nous n’aurions plus qu'à reconnaître celles que les sociétés ont effectivement
adoptées. »

Claude Lévi-Strauss : Tristes Tropiques
« C'est dans ces régions, où la densité de population dépasse parfois mille au kilomètre carré, que j'ai pleinement mesuré le privilège historique encore dévolu à l'Amérique tropicale (et jusqu'à un certain point à l'Amérique tout entière) d'être restée absolument ou relativement vide d'hommes. La liberté n'est ni une invention juridique ni un trésor philosophique, propriété chérie de civilisations plus dignes que d'autres parce qu'elles seules sauraient la produire ou la préserver. Elle résulte dune relation objective entre l'individu et l'espace qu'il occupe entre le consommateur et les ressourcés dont il dispose. Encore n'est-il pas sûr que ceci compense cela, et qu'une société riche, mais trop dense ne s'empoisonne pas de cette densité, comme ces parasites de la farine qui réussissent à s’exterminer à distance par leurs toxines, avant même que la matière nutritive ne fasse défaut. »

Claude Lévi-Strauss : Tristes Tropiques
Texte rédigé en 1938, lors de son séjour chez les Nambikwara : « Dans la savane obscure, les feux de campement brillent. Autour du foyer, seule protection contre le froid qui descend, derrière le frêle paravent de palmes et de branchages hâtivement planté dans le sol du côté d'où on redoute le vent ou la pluie ; auprès des hottes emplies des pauvres objets qui constituent toute une richesse terrestre ; couchés à même la terre qui s’étend alentour, hantée par d'autres bandes également hostiles et craintives, les époux, étroitement enlacés, se perçoivent comme étant l'un pour l'autre le soutien, le réconfort, l'unique secours contre les difficultés quotidiennes et la mélancolie rêveuse qui, de temps à autre, envahit l'âme nambikwara. Le visiteur qui, pour la première fois, campe dans la brousse avec les Indiens, se sent pris d'angoisse et de pitié devant le spectacle de cette humanité si totalement démunie ; écrasée, semble-t-il, contre le sol d'une terre hostile par quelque implacable cataclysme ; nue, grelottante auprès des feux vacillants. Il circule à tâtons parmi les broussailles, évitant de heurter une main, un bras, un torse, dont on devine les chauds reflets à la lueur des feux. Mais cette misère est animée de chuchotements et de rires. Les couples s'étreignent comme dans la nostalgie d'une unité perdue ; les caresses ne s'interrompent pas au passage de l'étranger. On devine chez tous une immense gentillesse, une profonde insouciance ; une naïve et charmante satisfaction animale, et, rassemblant ces sentiments divers quelque chose comme l'expression la plus émouvante et la plus véridique de la tendresse humaine »

Claude Lévi-Strauss : Tristes Tropiques
« Une fois pourtant, quelqu'un tua un porc sauvage ; cette chair saignante nous parut plus enivrante que le vin ; chacun en dévora une bonne livre, et je compris alors cette prétendue gloutonnerie des sauvages, citée par tant de voyageurs comme preuve de leur grossièreté. Il suffisait d'avoir partagé leur régime pour connaître de telles fringales, dont l'apaisement procure plus que la réplétion : le bonheur. »

Pascal : Pensée
« À mesure qu'on a plus d'esprit, on trouve qu'il y a plus d'hommes originaux. Les gens du commun ne trouvent pas de différence entre les hommes. »

Pascal: Pensée
« Nos magistrats ont bien connu ce mystère. Leurs robes rouges, leurs hermines, dont ils s'emmaillotent en chats fourrés, les palais où ils jugent, les fleurs de lis, tout cet appareil auguste était fort nécessaire ; et si les médecins n'avaient des soutanes et des mules, et que les docteurs n'eussent des bonnets carrés et des robes trop amples de quatre parties, jamais ils n'auraient dupé le monde qui ne peut résister à cette montre si authentique. S'ils avaient la vérité et la justice et si les médecins avaient le vrai art de guérir, ils n'auraient que faire de bonnets carrés ; la majesté de ces sciences serait assez vénérable d'elle-même. Mais n'ayant que des sciences imaginaires, il faut qu'ils prennent ces vains instruments qui frappent l'imagination à laquelle ils ont affaire ; et par là, en effet, ils s'attirent le respect. Les seuls gens de guerre ne se sont pas déguisés de la sorte, parce qu'en effet leur part est plus essentielle, ils s'établissent par la force, les autres par grimace. »

Pascal: Pensée
« Mais je me suis trouvé tant de fois en faute de jugement droit, qu'enfin je suis entré en défiance de moi et puis des autres. J'ai vu tous les pays et hommes changeants ; et ainsi, après bien des changements de jugement touchant la véritable justice, j'ai connu que notre nature n’était qu'un continuel changement, et je n'ai plus changé depuis ; et si je changeais, je confirmerais mon opinion. »

Ludwig Wittgenstein : De la Certitude
§90 : « Je sais » a un sens primitif qui ressemble et s'apparente à « Je vois ». (« Wissen », « videre ».) Et « Je savais qu'il était dans la pièce, mais il n'y était pas » est semblable à « Je l'ai vu dans la pièce, mais il n'y était pas ». « Je sais » est censé exprimer une relation, non entre moi et le sens d'une proposition (ce que fait « Je crois »), mais entre moi et un fait. De sorte que le fait est assimilé par ma conscience. »

Ludwig Wittgenstein : De la Certitude
§160 : « L'enfant apprend en croyant l'adulte. Le doute vient après la croyance. »

Ludwig Wittgenstein : De la Certitude
§166 : « La difficulté, c'est de se rendre compte du manque de fondement de nos croyances. »

Ludwig Wittgenstein : De la Certitude
§487 : « Quelle est la preuve que je sais quelque chose ? Certainement pas que je dise que je le sais.
§488 : Ainsi, lorsque des auteurs énumèrent tout ce qu'ils savent, cela ne prouve rien du tout. »

Amin Maalouf : Samarcande
Dialogue entre Khayyam et Abou-Taher, Khayyam: « Considérons les Anciens, les Grecs, les Indiens, les musulmans qui m'ont précédé, ils ont écrit abondamment dans toutes ces disciplines. Si je répète ce qu'ils ont dit, mon travail est superflu ; si je les contredis, comme je suis constamment tenté de le faire, d'autres viendront après moi pour nie contredire. Que restera-t-il demain des écrits des savants ? Seulement le mal qu'ils ont dit de ceux qui les ont précédés. On se souvient de ce qu'ils ont détruit dans la théorie des autres, mais ce qu'ils échafaudent eux-mêmes sera immanquablement détruit, ridiculisé même par ceux qui viendront après. Telle est la loi de la science ; la poésie ne connaît pas pareille loi, elle ne nie jamais ce qui l'a précédée et n'est jamais niée par ce qui la suit, elle traverse les siècles en toute quiétude. C'est pour cela que j'écris mes robaïyat. Sais-tu ce qui me fascine dans les sciences ? C'est que j'y trouve la poésie suprême : avec les mathématiques, le grisant vertige des nombres ; avec l'astronomie, l'énigmatique murmure de l'univers. Mais, de grâce, qu'on ne me parle pas de vérité ! »

Amin Maalouf : Samarcande
Dialogue entre Nizam et Khayyam:
« — Je te nomme sahib-khabar.
— Sahib-khabar, moi, chef des espions ?
— Chef des renseignements de l'empire. Ne réponds pas à la hâte, il ne s'agit pas d'espionner les bonnes gens, de s'introduire dans les demeures des croyants, mais de veiller à la tranquillité de tous. Dans un État, la moindre exaction, la moindre injustice doit être connue du souverain et réprimée de façon exemplaire, quel que soit le coupable. Comment savoir si tel cadi ou tel gouverneur de province ne profite pas de sa fonction pour s'enrichir aux dépens des humbles ? Par nos espions, puisque les victimes n'osent pas toujours se plaindre !
— Encore faut-il que ces espions ne se laissent pas acheter par les cadis, les gouverneurs ou les émirs, qu'ils ne deviennent pas leurs complices !
— Ton rôle, le rôle du sahib-khabar, est précisément de trouver des hommes incorruptibles pour les charger de ces missions.
— Si ces hommes incorruptibles existent, ne serait-il pas plus simple de les nommer eux-mêmes gouverneurs ou cadis ! »

Michel Serres : Musique
« Car nous répétons les mêmes choses, indéfiniment, sans nous douter que nous inventons peu. Médias et conversations reviennent indéfiniment sur les circonstances hiérarchiques et mortelles qui collent nos relations depuis avant la préhistoire. Comme les singes, nous communiquons par gestes accompagnés de sons. Comme du linge sur une ligne, l'histoire suspend des noms propres à la longue corde monotone des morts et des gagnants meurtriers pour la gloire et la puissance. »

Michel Serres : Musique
« Le rouge-gorge dispose d'un répertoire énorme : plus de mille chants divers ; entre la rousserolle-verderolle et ses voisins, on entend des polyphonies organisées qui existent même entre volatiles différents. Les mâles de certaines espèces varient à chaque saison le chant de leur cour d'amour; je connais peu de vils dragueurs capables de tels renouvellements. »

Michel Serres : Musique
« On a calculé que nos débris, décombres et ordures dépassent désormais, en poids et volume, la masse des sédiments, bombes, sables, limons et cailloux transportés par mers et marées, fleuves, volcans et vents. Fabriquant des objets-Monde, nous chions des immondices-Monde. Aussi colossale, l'intensité des bruits stercoraires, émis par les rejets des machines et le tohu-bohu des villes, musaques et pétarades, assourdit notre ouïe aux voix des vivants et des choses elles-mêmes, singulières, modulées, terrifiantes, exquises. L'humanité n'entend plus le Monde.
Au fait, s'entend-elle ? »

Michel Serres : Musique
« Et qui ne sait, d'autre part, que la cécité handicape moins que la surdité, que la mutité ? Qui n'a vu des aveugles à un niveau de performances intellectuelles supérieur à celui de bien des voyants ? Qui ne voit la pauvreté informative, la misère parfois, de l'image, en comparaison de la richesse, réellement inouïe, de la Musique et du texte entendus ? L'oreille informe mieux que les yeux. Cependant, philosophes, pédagogues, éditeurs ou médias... tout le monde agit et pense contre cette évidence. »

Michel Serres : Musique
« Une fois nés, voici les deux enfants face à face : le Précurseur crie dans le désert et demande qu'on arase ses pointes aiguës, douloureuses ou entraînantes; et le Verbe, enfin, parlera. On coupera la tête au Précurseur, dont nul n'a plus besoin, dont nul ne comprend plus la tâche dès que le Verbe parle. Les émergences effacent leurs traces. La raison travaille dans l'oubli de l'émotion. La parole la rejette. La culture oublie la nature, qui précède sa naissance. Les nations — qui, par ce mot, disent bien qu'elles naissent d'elles-mêmes ! — oublient la Biogée. Le savoir oublie ses conditions de haine et d'amour. Tous nos bavardages oublient leurs musiques et leurs psaumes préalables. Que reste-t-il, dans nos sciences, de tous ces mouvements précurseurs ? Je tente de dire, avec des mots qui les trahissent, les prédécesseurs mouvants, émotifs, psalmodiques, musicaux, de la parole. »

Michel Serres : Musique
« Oui. Si, en effet, la gloire se perche là-haut — in excelsis, très haut —, nul d'entre nous n'y parviendra jamais. Car elle devient ce en comparaison de quoi rien d'autre n'est plus accessible. Ce superlatif efface tout comparatif; or, le mal du Monde vient de la comparaison. Alors, ô merveille, nous voilà sauvés ! Plus de gloire parmi nous, juchée qu'elle se trouve au-dessus d'un sommet où nul alpiniste ne pourra jamais planter son crochet ni son piolet ni le minable drapeau d'une nation mal née. Car si personne n'y accède, plus de comparaison, plus de mimétisme parmi nous, plus de jalousie, de compétition, de course, de rivalité, donc de cette haine qui pourrait nous précipiter à nous égorger les uns les autres jusqu'au dernier. Plus de guerre. Paix. »

Michel Serres : Musique
« Comme tous les combats, ce débat entretenait un spectacle dont l'ardeur passionnait le théâtre de philosophie. Le plus comique de cette guerre d'humeur âcre tenait à l'injure échangée, unique et partagée : les réalistes ou matérialistes considéraient leurs adversaires comme des mystiques rêvant à des esprits ; quant aux spiritualistes ou idéalistes, ils considéraient leurs adversaires comme des mystiques, puisqu'ils croyaient, dur comme fer, à un réel, pourtant toujours distant d'eux d'une épaisseur énorme d'expériences ou de théories falsifiables, et donc voilé à jamais comme un fantôme. Comme tant d'autres, ce conflit continué en des milliers d'années ne dépend ni de la vérité ni de sa recherche, mais de l'amour de tous pour toute guerre et pour le cirque monotone qu'elle offre à tout public, comme à l'écriture de l'histoire. Il durera donc autant que le monde mondain des animaux politiques, tout autant que son spectacle. »

Michel Foucault: L'archéologie du savoir
« On ne revient pas à l'en deçà du discours-là où rien encore n'a été dit et où les choses, à peine, pointent dans une lumière grise ; on ne passe pas au-delà pour retrouver les formes qu'il a disposées et laissées derrière lui ; on se maintient on essaie de se maintenir au niveau du discours lui-même. Puis qu'il faut parfois mettre des points sur les iota des absences pourtant les plus manifestes, je dirai que dans toutes ces recherches où je suis encore si peu avancé, je voudrais montrer que les « discours », tels qu'on peut les entendre, tel qu'on peut les lire dans leur forme de textes, ne sont pas, comme on pourrait s'y attendre, un pur et simple entrecroisement de chose et de mots : trame obscure des choses, chaîne manifeste, visible et colorée des mots ; je voudrais montrer que le discours n'est pas une mince surface de contact, ou d'affrontement, entre une réalité et une langue, l'intrication d'un lexique et d'une expérience ; je voudrais montrer sur des exemples précis, qu'en analysant les discours eux-mêmes, on voit se desserrer l'étreinte apparemment si forte des mots et des choses, et se dégager un ensemble de règles propres à la pratique discursive. Ces règles définissent non point l'existence muette d'une réalité, non point l'usage canonique d'un vocabulaire, mais le régime des objets. « Les mots et les choses », c'est le titre — sérieux — d'un problème ; c'est le titre — ironique — du travail qui en modifie la forme, en déplace les données, et révèle, au bout du compte, une tout autre tâche. Tâche qui consiste à ne pas — à ne plus — traiter les discours comme des ensembles de signes (d'éléments signifiants renvoyant à des contenus ou à des représentations) mais comme des pratiques qui forment systématiquement les objets dont ils parlent. Certes, les discours sont faits de signes ; mais ce qu'ils font, c'est plus que d'utiliser ces signes pour désigner des choses. C'est ce plus, qui les rend irréductibles à la langue et à la parole. C'est ce « plus » qu'il faut faire apparaître et qu'il faut décrire. »

Michel Foucault: L'archéologie du savoir
« Une formation discursive ne joue donc pas le rôle d'une figure qui arrête le temps et le gèle pour des décennies ou des siècles ; elle détermine une régularité propre à des processus temporels ; elle pose le principe d'articulation entre une série d'événements discursifs et d'autres séries d'événements, de transformations, de mutations et de processus. Non point forme intemporelle, mais schème de correspondance entre plusieurs séries temporelles. »

Michel Foucault: L'archéologie du savoir
« L'énoncé est toujours donné au travers d'une épaisseur matérielle, même si elle est dissimulée, même si, à peine apparue, elle est condamnée à s'évanouir. Et non seulement l'énoncé a besoin de cette matérialité ; mais elle ne lui est pas donnée en supplément, une fois toutes ses déterminations bien fixées : pour une part, elle le constitue. Composée des mêmes mots, chargée exactement du même sens, maintenue dans son identité syntaxique et sémantique, une phrase ne constitue pas le même énoncé, si elle est articulée par quelqu'un au cours d'une conversation, ou imprimée dans un roman ; si elle a été écrite un jour, il y a des siècles, et si elle réapparaît maintenant dans une formulation orale. Les coordonnées et le statut matériel de l'énoncé font partie de ses caractères intrinsèques. C'est là une évidence. Ou presque. Car dès qu'on y prête un peu attention les choses se brouillent et les problèmes se multiplient. »

Michel Foucault: L'archéologie du savoir
« Cette matérialité répétable qui caractérise la fonction énonciative fait apparaître l'énoncé comme un objet spécifique et paradoxal, mais comme un objet tout de même parmi tous ceux que les hommes produisent, manipulent, utilisent, transforment, échangent, combinent, décomposent et recomposent, éventuellement détruisent. Au lieu d'être une chose dite une fois pour toutes — et perdue dans le passé comme la décision d'une bataille, une catastrophe géologique ou la mort d'un roi — l'énoncé, en même temps qu'il surgit dans sa matérialité, apparaît avec un statut, entre dans des réseaux, se place dans des champs d'utilisation, s'offre à des transferts et à des modifications possibles, s'intègre à des opérations et à des stratégies où son identité se maintient ou s'efface. Ainsi l'énoncé circule, sert, se dérobe, permet ou empêche de réaliser un désir, est docile ou rebelle à des intérêts, entre dans l'ordre des contestations et des luttes, devient thème d'appropriation ou de rivalité. »

Michel Foucault: L'archéologie du savoir
« À la différence de toutes ces interprétations dont l'existence même n'est possible que par la rareté effective des énoncés, mais qui la méconnaissent cependant et prennent au contraire pour thème la compacte richesse de ce qui est dit, l'analyse des formations discursives se retourne vers cette rareté elle-même ; elle la prend pour objet explicite ; elle essaie d'en déterminer le système singulier ; et du même coup, elle rend compte du fait qu'il a pu y avoir interprétation. Interpréter, c'est une manière de réagir à la pauvreté énonciative et de la cornue par la multiplication du sens ; une manière de parler à partir d'elle et malgré elle. Mais analyser une formation discursive, c'est chercher la loi de cette pauvreté, c'est en prendre la mesure et en déterminer la forme spécifique. C'est donc, en un sens, peser la « valeur » des énoncés. Valeur qui n'est pas définie par leur vérité, qui n'est pas jaugée par la présence d'un contenu secret ; mais qui caractérise leur place, leur capacité de circulation et d'échange, leur possibilité de transformation, non seulement dans l'économie des discours, mais dans l'administration, en général, des ressources rares. »

Michel Foucault: L'archéologie du savoir
« Le diagnostic ainsi entendu n'établit pas le constat de notre identité par le jeu des distinctions. Il établit que nous sommes différence, que notre raison c'est la différence des discours, notre histoire la différence des temps, notre moi la différence des masques. Que la différence, loin d'être origine oubliée et recouverte, c'est cette dispersion que nous sommes et que nous faisons. »

Michel Foucault: L'archéologie du savoir
« Mais chercher dans le grand amoncellement du déjà-dit le texte qui ressemble « par avance » à un texte ultérieur, fureter pour retrouver, à travers l'histoire, le jeu des anticipations ou des échos, remonter jusqu'aux germes premiers ou redescendre jusqu'aux dernières traces, faire ressortir tour à tour à propos d'une œuvre sa fidélité aux traditions ou sa part d'irréductible singularité, faire monter ou redescendre sa cote d'originalité, dire que les grammairiens de Port-Royal n'ont rien inventé du tout, ou découvrir que Cuvier avait plus de prédécesseurs qu'on ne croyait, ce sont là des amusements sympathiques, mais tardifs, d'historiens en culottes courtes. »

Albert Camus : L'étranger
« Cela me permettrait de vivre à Paris et aussi de voyager une partie de l'année. « Vous êtes jeune, et il me semble que c'est une vie qui doit vous plaire. » J'ai dit que oui, mais que dans le fond cela m'était égal. Il m'a demandé alors si je n'étais pas intéressé par un changement de vie. J'ai répondu qu'on ne changeait jamais de vie, qu'en tout cas toutes se valaient et que la mienne ici ne me déplaisait pas du tout. Il a eu l'air mécontent, m'a dit que je répondais toujours à côté, qui je n'avais pas d'ambition et que cela était désastreux dans les affaires. Je suis retourné travailler alors. J'aurais préféré ne pas le mécontenter, mais je ne voyais pas de raison pour changer ma vie. En y réfléchissant bien, je n'étais pas malheureux. Quand j'étais étudiant, j'avais beaucoup d'ambitions de ce genre. Mais quand j'ai dû abandonner mes études, j'ai très vite compris que tout cela était sans importance réelle. »

Albert Camus : L'étranger
« Ainsi, plus je réfléchissais et plus de choses méconnues et oubliées je sortais de ma mémoire. J'ai compris alors qu'un homme qui n'aurait vécu qu'un seul jour pourrait sans peine vivre cent ans dans une prison. Il aurait assez de souvenirs pour ne pas s'ennuyer. Dans un sens, c'était un avantage. »

Pascal Picq – Philippe Brenot : Le sexe, l'Homme et l'évolution
« D'autre part, cette hypothèse repose sur le mythe de « l'homme, le chasseur », faisant écho à cette vieille conception machiste qui ne voit l'évolution de l'homme que du côté des hommes, les mâles, et de l'émergence de leurs innovations cardinales que sont la chasse, les outils, les armes, etc. Or il n'en est rien. Rappelons d'abord que les origines de l'homme ne se passent pas dans l'Europe glaciaire, mais dans la bande des tropiques et en Afrique. L'économie de subsistance ne fait pas de la chasse et de la viande l'apport le plus important en nourriture, loin de là. Difficile de se débarrasser du cliché de l'homme des cavernes avec la femme confinée dans la grotte froide et humide en attendant son beau mâle revenant triomphant de la chasse avec un demi-mammouth dans la besace »

Pascal Picq – Philippe Brenot : Le sexe, l'Homme et l'évolution
« Toute la stratégie machiste de nos sociétés depuis le néolithique a consisté à réduire au maximum l'indépendance économique des femmes ; autrement dit à brider leur liberté de subsistance — annihiler le sexe écologique — comme leur sexualité en instaurant l'obsession de la virginité, les grossesses à répétition et toutes formes d'agressions. Quant aux hommes sensibles aux nouvelles formes de paternités pour diverses raisons, ils apprécieront eux aussi. »

Pascal Picq – Philippe Brenot : Le sexe, l'Homme et l'évolution
« Pour les préférences des hommes pour les femmes, on retrouve l'attirance pour des proportions universelles entre la largeur des épaules, l'échancrure de la taille et la saillie des hanches. Plus surprenant, la femme à la beauté idéale serait de type européen et... blonde. Surprenant ? Sans commentaire, si ce n'est de rappeler, comme à propos des enquêtes sur l'« amour romantique » qui serait universel, que sur une petite planète envahie par les médias mondialisés, il y a de fortes chances pour que ressortent les clichés des cultures dominantes. Inutile de préciser que ces travaux de recherche ne sont pas conduits par des équipes de chercheurs chinois, africains ou inuits. »

Pascal Picq – Philippe Brenot : Le sexe, l'Homme et l'évolution
« Le caractère spécifique de l'humain n'est donc en rien l'interdit de l'inceste, mais plutôt le « passage par la parole » d'un évitement largement répandu chez les mammifères, et de façon forte chez les primates, à une prohibition de l'inceste commune à l'ensemble de l'humanité. La prohibition de l'inceste est, d'une certaine façon, le seul témoignage du passage d'une tradition ancienne, mammifère et primate, codée dans des comportements d'évitement, à sa transmission par le langage des humains. Nous en revenons à une évidence de l'hominisation : le fait majeur de l'humain est le fait du langage. »

Pascal Picq – Philippe Brenot : Le sexe, l'Homme et l'évolution
« Il faut encore ici distinguer les notions de pulsion, de désir et de besoin, trop souvent confondues. Il n'existe pas vraiment de « besoin » sexuel, les humains qui ne font jamais l'amour n'en conçoivent aucune maladie sinon de la frustration s'ils s'étaient habitués à un rythme coïtal ou masturbatoire régulier. Les autres n'y voient aucun inconvénient. La pulsion n'est en réalité qu'un terme présupposé, car il s'agit plus d'un modelage psychosocial que d'une pulsion biologique inéluctable. Le désir enfin est un vrai déterminant humain de l'amour, mieux compris et perçu par les femmes que par les hommes dans a mesure où le désir féminin résulte d'une connaissance et d'un apprentissage des réactions sexuelles avec soi-même, tandis que le désir masculin est dominé par le « réflexe érectile » qui amène les hommes à bander avant de désirer et donc souvent à confondre les trois termes de pulsion, besoin et désir. La vraie dimension humaine de la sexualité est dans la connaissance et l'épanouissement de son propre désir. »

Pascal Picq – Philippe Brenot : Le sexe, l'Homme et l'évolution
« Quelles sont-elles ? Nul ne le sait, nous en avons compris certaines, mais le fond de leur pensée nous échappe et, comme le disait Wittgenstein, « si les lions pouvaient parler, nous ne pourrions les comprendre ». Peut-être ont-ils des règles morales qui portent en germe nos interdits premiers. Leur ressemblance avec l'humanité est si troublante que pendant des siècles nous nous sommes interdit de les étudier de peur de nous reconnaître. »

Pascal Picq – Philippe Brenot : Le sexe, l'Homme et l'évolution
« On peut enfin dénoncer l'imposition du modèle normatif d'un coït longue durée à l'image du très négatif « modèle porno », dans la mesure où ce cinéma - substitut des bordels -a inconsciemment sélectionné pour les scènes intimes des sujets (acteurs) présentant une pathologie fonctionnelle (l'anéjaculation ou impossibilité à éjaculer dans le vagin d'une femme). En effet, le casting de tels films a évidemment mis de côté les éjaculateurs rapides qui ne feraient qu'interrompre le tournage (!) et privilégié ceux qui pouvaient coïter indéfiniment dans une sorte d'indifférence émotionnelle. C'est le cas des anéjaculateurs que l'on reconnaît à une autre caractéristique devenue, sans que quiconque le sache, le point d'orgue d'une séance interminable : l'homme se retire et éjacule en quelques secondes sur la partenaire, comportement spécifique de l'anéjaculateur qui n'a aucune difficulté à jouir par masturbation ! »

Karl Marx : Les luttes de classes en France
« Enfin, les victoires de la Sainte-Alliance ont donné à l'Europe une forme telle que tout nouveau soulèvement prolétarien en France coïncidera immédiatement avec une guerre mondiale. La nouvelle Révolution française est forcée de quitter aussitôt le sol national et de conquérir le terrain européen, le seul où peut s'accomplir la révolution sociale du XIX ° siècle. »

Karl Marx: Les luttes de classes en France
« dans ce tourbillon, dans ces tourments de l'agitation historique, dans ce flux et reflux dramatique des passions révolutionnaires, d'espoirs, de déceptions, les diverses classes de la société française devaient nécessairement calculer leurs périodes d'évolution en nombre de semaines, alors qu'elles les avaient calculées auparavant en nombre de demi-siècles. »

Karl Marx: Les luttes de classes en France
« Une fois persuadé d'avoir ainsi enthousiasmé le peuple, Bonaparte entreprit de conquérir l'armée. Il fit exécuter de grandes revues dans la plaine de Satory, près de Versailles, pendant lesquelles il cherchait à acheter les soldats en faisant distribuer du saucisson à l'ail, du Champagne et des cigares. Si, lors de ses harassantes campagnes de conquêtes, le vrai napoléon savait ragaillardir ses soldats épuisés par des accès de familiarité patriarcale, le pseudo-Napoléon croyait que c'était par gratitude que les troupes criaient: «Vive Napoléon, vive le saucisson! », c'est-à-dire, en fait : « Vive le saucisson (Wurst), vive le bouffon (Hanswurst) ! »

Søren Kierkegaard : Traité du désespoir
« Aux y du monde le danger c'est de risquer, pour bonne raison qu'on peut perdre. Point risques, voilà la sagesse. Pourtant, à ne point risquer, quelle facilité épouvantable à perdre ce qu'on ne perdrait, en risquant, qu’à grand-peine, quoi qu'on perdît, mais jamais en tout cas ainsi, si facilement, comme rien : à perdre quoi ? soi-même. Car si je risque et me trompe, eh bien ! la vie me punit pour me secourir. Mais quand je ne risque rien, qui m'aide alors ? d'autant qu'en ne risquant rien au sens éminent (ce qui est prendre conscience de son moi) je gagne en lâche par-dessus le marché tous les biens de ce monde — et perds mon moi. »

Søren Kierkegaard : Traité du désespoir
« Tu dois croire à la rémission des péchés » et comme seul commentaire de ce texte, jadis, on ajoutait : « Il t'arrivera un bon malheur, si tu ne peux ; car ce qu'on doit, on le peut » — maintenant c'est du génie et de la profondeur de ne pas pouvoir le croire. Joli résultat pour la chrétienté ! Si l'on taisait le christianisme, les hommes seraient-ils si pleins d'eux-mêmes ? Non, certes, comme ils ne le furent jamais d'ailleurs dans le paganisme, mais à tramer ainsi partout a-chrétiennement les idées chrétiennes, leur emploi tourne à la pire irrévérence, quand on n'en fait pas un abus d'autre sorte, mais non moins effronté. En fait, quelle épigramme que le juron, qui n'était pourtant pas dans les mœurs des païens, par contre soit comme chez lui sur des lèvres chrétiennes ! et tandis que les païens, comme avec une sorte d'horreur, une crainte du mystère, ne nommaient le plus souvent Dieu qu'avec force solennité, quelle épigramme que chez les chrétiens son nom soit le mot le plus courant des propos de tous les jours, et sans comparaison le mot le plus vide de sens, et dont on use avec le moins de soin, parce que ce pauvre Dieu dans son évidence (l'imprudent, le maladroit ! de s'être manifesté, au lieu de se tenir caché, comme font les gens d'élite) est, à présent, connu comme le loup blanc. »

Ivo Andrić : Le pont sur la Drina
« Comme dans beaucoup d'autres domaines, il n'est pas facile ici de définir ce qui est la cause ou la conséquence. La kapia a-t-elle fait des habitants de la ville ce qu'ils sont ou, au contraire, a-t-elle été conçue selon leur mentalité et leurs idées et construite pour répondre à leurs besoins et à leurs habitudes ? Question inutile et vaine. Il n'y a pas de constructions fortuites, sans rapport avec la société humaine dans laquelle elles ont vu le jour, avec ses besoins, ses aspirations et ses conceptions, de même qu'il n'y a pas de lignes arbitraires ou de formes gratuites en architecture. »

Ivo Andrić : Le pont sur la Drina
« En effet, certaines personnes éprou­vent un sentiment injustifié de haine et d'envie qui est plus fort que tout ce que les autres peuvent créer et inventer. »

Ivo Andrić : Le pont sur la Drina
« Mais lui, malgré ses solides revenus, était un pauvre diable famélique, en perpé­tuelle lutte avec cette misère particulière qui est souvent le lot des poètes, une sorte de malédiction à part que ni les gains ni les récompenses ne peuvent compenser. »

Ivo Andrić : Le pont sur la Drina
« Avec quinze ou vingt ans de recul, pendant lesquels ils avaient de nou­veau gagné de l'argent et reconstruit les maisons, « la grande crue » leur apparaissait comme quelque chose de terrible et d'énorme, mais qui leur était en même temps cher et proche ; elle constituait un lien intime entre les gens encore vivants, de moins en moins nombreux, de cette génération, car rien ne rapproche plus les hommes qu'un malheur partagé auquel on a survécu. Eux aussi se sentaient étroitement liés par le souvenir de cette catastrophe passée. C'est pourquoi ils aimaient évoquer ensemble ce coup du sort le plus dur qu'ils eussent reçu dans leur vie, et ils y trouvaient un plaisir incompréhen­sible pour les plus jeunes ; leurs souvenirs étaient inépuisables, et ils les ressassaient inlassablement ; ils complétaient à tour de rôle le récit et se rappelaient les uns aux autres certains détails, ils se regardaient dans les yeux, dans leurs yeux de vieillards à la cornée scléreuse et jaunâtre, et y voyaient ce que les plus jeunes ne pouvaient même pas pressentir ; ils se gri­saient de leurs propres mots ; ils noyaient leurs soucis du moment dans le souvenir de problèmes plus graves résolus depuis longtemps de façon favorable. »

Ivo Andrić : Le pont sur la Drina
« Assis bien au chaud dans leurs maisons, envahies naguère par cette inondation, ils racontaient pour la centième fois avec un plaisir particulier certaines scènes émouvantes ou tragiques. Et plus le souvenir était pénible et douloureux, plus ils trouvaient de volupté à l'évoquer. À travers la fumée, du tabac ou un petit verre d'une eau-de-vie douce, ces scènes étaient souvent trans­formées, exagérées, embellies par l'imagination et la distance, mais aucun d'eux ne s'en apercevait et chacun aurait été prêt à jurer que tout s'était bien passé ainsi, car tous participaient inconsciemment à ces enjolivements involontaires. »

Ivo Andrić : Le pont sur la Drina
« Là aussi, il y avait beaucoup de femmes qui sanglotaient toutes, sans exception, bien qu'elles n'eussent pas de proches parmi ceux qui partaient. En effet, on a toujours une bonne raison de pleurer et rien n'est plus doux j que de se lamenter sur le malheur des autres. »

Ivo Andrić : Le pont sur la Drina
« La vie dans la bourgade près du pont était de plus en plus animée, elle paraissait plus organisée et plus riche et trouvait peu à peu une cadence régulière et un équilibre nouveau, cet équilibre auquel aspire toute vie, partout et depuis toujours, mais que l'on n'atteint que rarement, partiellement et de façon éphémère. »

Ivo Andrić : Le pont sur la Drina
« Plus loquaces et plus bruyants étaient les débutants, fils de commerçants pour la plupart, jeunes gens à un âge dangereux qui faisaient leurs premiers pas sur le chemin du mal, payant ainsi le tribut au vice de la boisson et de la paresse que tous paient, plus ou moins longuement selon les cas. La plupart d'entre eux ne restaient pas longtemps dans cette voie, ils s'en détournaient vite pour fonder une famille, s'enrichir et se consacrer au travail et à la vie bourgeoise, avec ses passions médiocres et ses vices réprimés. Seule l'infime minorité des maudits et des prédestinés poursuivait à jamais dans cette voie et, ayant choisi, à la place de la vie, l'alcool, l'illusion la plus éphémère et la plus trompeuse dans cette vie éphémère et trompeuse, ils vivaient pour lui, se consumaient en lui, et finissaient par devenir à leur tour moroses, abrutis et bouffis, comme ceux qui étaient assis dans les coins sombres. »

Ivo Andrić : Le pont sur la Drina
Ali hodja : « Tu es un imbécile si tu t'imagines que les Autrichiens ont dépensé de l'argent et mis en place cette machine uniquement pour que toi, tu puisses voyager et régler tes affaires plus rapidement. Tu ne vois qu'une chose, c'est que tu te déplaces vite, mais tu ne te demandes pas ce que cette machine transporte, dans un sens comme dans l'autre, en dehors de toi et de tes semblables. Ça, tu n'arrives pas à le faire entrer dans ta petite tête. Voyage, mon brave, voyage où tu voudras, mais j'ai bien peur qu'un jour ou l'autre ces voyages ne te retombent sur le nez. Un jour viendra où les Autrichiens te transporteront là où tu n'auras nullement envie d'aller et où tu n'aurais jamais eu l'idée de te rendre. »

Ivo Andrić : Le pont sur la Drina
« C'est de là que Galus, lui aussi, tenait sa connaissance des philosophes allemands modernes, en particulier Nietzsche et Stirner, et il était capable d'en parler sans fin avec ses camarades, au cours de leurs promenades le long de la Miljacka, avec une passion froide et enjouée, sans jamais lier son savoir à sa vie personnelle, comme le font en général si souvent les jeunes gens. »

Ivo Andrić : Le pont sur la Drina
« Comment dépeindre ces ondes dont furent parcourus les hommes, d'une peur animale muette à l'exaltation suicidaire, des instincts sanguinaires les plus bas et de la rapine sournoise aux exploits les plus nobles et aux sacrifices les plus sublimes dans lesquels l'homme se dépasse et atteint, l'espace d'un instant, les sphères de mondes supérieurs régis par d'autres lois ? Cela ne pourra jamais être raconté, car ceux qui assistent et survivent à de telles choses restent à jamais muets, et les morts, eux, ne peuvent de toute façon pas parler. Ce sont des choses qui ne se disent pas, des choses qui s'oublient. En effet, si elles ne s'oubliaient pas comment pourraient-elles se répéter ? »

Rousseau : Rousseau juge de Jean Jacques
« Les passions primi­tives, qui toutes tendent directement à notre bonheur, ne nous occupent que des objets qui s'y rapportent et n'ayant que l'amour de soi pour principe sont toutes aimantes et douces par leur essence : mais quand, détournées de leur objet par des obstacles, elles s'oc­cupent plus de l'obstacle pour l'écarter que de l'objet pour l'atteindre, alors elles changent de nature et deviennent irascibles et haineuses, et voilà comment l'amour de soi, qui est un sentiment bon et absolu, devient amour-propre ; c'est-à-dire, un sentiment relatif par lequel on se compare, qui demande des pré­férences, dont la jouissance est purement négative, et qui ne cherche plus à se satisfaire par notre propre bien, mais seulement par le mal d'autrui. »

Rousseau : Rousseau juge de Jean Jacques
« Le cortège inséparable de l'opulence leur serait cent fois plus à charge que les biens qu'elle pro­cure ne leur seraient doux. Le tourment de la posses­sion empoisonnerait pour eux tout le plaisir de la jouissance. »

Rousseau : Rousseau juge de Jean Jacques
« Ce grand principe, base et sceau de toute justice, sans lequel la société humaine croulerait par ses fondements, est si sacré, si inviolable dans la pratique que quand toute la ville aurait vu un homme en assassiner un autre dans la place publique, encore ne punirait-on point l'assassin sans l'avoir préalablement entendu. »

Rousseau : Rousseau juge de Jean Jacques
« Je ne doute point qu'un homme coupable d'un crime ne soit capable de cent ; mais ce que je sais mieux encore, c'est qu'un homme accusé de cent crimes peut n'être coupable d'aucun. »

Rousseau : Rousseau juge de Jean Jacques
« La sensibilité positive dérive immédiatement de l'amour de soi. Il est très naturel que celui qui s'aime cherche à étendre son être et ses jouissances, et à s'approprier par l'attache­ment ce qu'il sent devoir être un bien pour lui : ceci est une pure affaire de sentiment où la réflexion n'entre pour rien. Mais sitôt que cet amour absolu dégénère en amour-propre et comparatif, il produit la sensibi­lité négative ; parce qu'aussitôt qu'on prend l'habitude de se mesurer avec d'autres, et de se transporter hors de soi pour s'assigner la première et meilleure place, il est impossible de ne pas prendre en aversion tout ce qui nous surpasse, tout ce qui nous rabaisse, tout ce qui nous comprime, tout ce qui étant quelque chose nous empêche d'être tout. L'amour-propre est tou­jours irrité ou mécontent, parce qu'il voudrait que chacun nous préférât à tout et à lui-même, ce qui ne se peut : il s'irrite des préférences qu'il sent que d'autres méritent, quand même ils ne les obtiendraient pas : il s'irrite des avantages qu'un autre a sur nous, sans s'apaiser par ceux dont il se sent dédommagé. »

Rousseau : Rousseau juge de Jean Jacques
« La réflexion, la prévoyance, mère des soucis et des peines n'approchent guère d'une âme enivrée des charmes de la contemplation. Tous les soins fatigants de la vie active lui deviennent insupportables et lui semblent superflus ; et pourquoi se donner tant de peines dans l'espoir éloigné d'un succès si pauvre, si incertain, tandis qu'on peut dès l'instant même dans une déli­cieuse rêverie jouir à son aise de toute la félicité dont on sent en soi la puissance et le besoin ? »

Rousseau : Rousseau juge de Jean Jacques
« Chacun hait tout ce qui n'est pas lui plutôt qu'il ne s'aime lui-même. On s'occupe trop d'autrui pour savoir s'occuper de soi ; on ne sait plus que haïr, et l'on ne tient point à son propre parti par attachement, encore moins par estime, mais uniquement par haine du parti contraire. »

Nietzsche : Fragments posthumes
« En dominant la nature, l'humanité du prochain siècle aura peut-être accumulé bien plus de force qu'elle ne peut en consommer, et pour cela naîtra chez les hommes une sorte d'habitude de luxe dont nous ne pouvons aujourd'hui nous faire encore aucune idée. En admettant que l'idéa­lisme humain ne se cantonne pas à ses buts actuels, des entreprises monumentales pourront être menées, telles que nous n'en avons jamais rêvé de semblables. »

Nietzsche : Fragments posthumes
« Homme ! Ta vie tout entière sera toujours de nouveau retournée comme le sablier et s'écoulera toujours de nouveau — entre-temps, une grande minute de temps pour que se réunissent la totalité des conditions par les­quelles, entraîné dans la course circulaire du Tout, tu es advenu. Puisses-tu alors retrouver chaque souffrance et chaque plaisir, chaque ami, chaque ennemi et chaque espoir, chaque erreur, chaque brin d'herbe, chaque rayon de soleil, la série inté­grale de toutes choses. Cet anneau, sur lequel tu n'es qu'un grain de blé, rayonne toujours de nou­veau. Et sur chaque anneau de l'existence humaine prise dans son sens absolu, vient l'heure durant laquelle à un seul, ensuite à beaucoup, puis à tous, se manifeste la plus puissante pensée, celle du retour éternel de toutes choses — c'est à chaque fois pour l'humanité l'heure de Midi. »

Nietzsche : Fragments posthumes
« Là où il n'y a pas d'instinct d'obéissance, le « tu dois » n'a aucun sens. »

Nietzsche : Fragments posthumes
« Il existe une multitude de regards. Le sphinx aussi a plusieurs regards : il existe donc plusieurs types de « vérités », c'est-à-dire qu'il n'y a pas de Vérité. »

Nietzsche : Fragments posthumes
« Ce monde : une immensité de forces, sans commencement ni fin, une grandeur fixe de forces, solide comme l'airain, qui n'augmente m ne dimi­nue, qui ne s'épuise pas mais se ment, dont la totalité est une grandeur invariable, un budget sans dépenses ni recettes, mais égale­ment sans surcroît ni expansion, un monde cerné par le "néant" qui en est la limite, nullement flot­tant, qui ne gaspille pas ses forces, rien d'indéfini­ment étendu, une force déterminée occupant une étendue finie, et non un espace où régnerait le "vide", mieux, une force partout présente, un jeu de forces et une vague d'énergie, aussi bien une que "Multiple", se décomposant ici quand elle se concentre là, un océan déchaîné, un déluge de forces changeant éternellement, répétant éternellement sa course, avec des années titanesques de retour, avec le flux et le reflux de ses formes, s'ef­forçant de passer de l'état le plus élémentaire au plus multiple, du plus immobile, figé, glacial, au plus brûlant, au plus sauvage, à celui qui se contre­dit le plus et donc, qui, de la profusion, retourne à l'élémentaire du jeu de la contradiction a désir d'harmonie, s'affirmant encore lui-même dans cette identité entre ses trajectoires circulaires et ses révolutions, se consacrant lui-même comme ce qui doit revenir éternellement, en tant que devenir qui ne connaît ni répétition, ni dégoût, ni fatigue - : ce monde dionysiaque qui est le mien, de l'éternelle création de soi-même par soi-même, de l'éternelle destruction de soi-même par soi-même, ce monde mystérieux des voluptés à double tranchant, voilà mon par-delà le bien et le mal, sans finalité, à moins que le bonheur d'avoir accompli ce cycle soit un but, sans vouloir, à moins qu'un cercle n'ait le bon vouloir de tourner éternellement sur lui-même, - vous voulez un nom pour ce monde ? Une solution à toutes ses énigmes ? une lumière qui vous guide­rait vous aussi les plus secrets, les plus puissants, les plus intrépides de tous les esprits ? — ce monde est la volonté de puissance — et rien d'autre que cela ! Vous êtes vous-mêmes cette volonté de puissance — et rien d'autre que cela ! »

Nietzsche : Fragments posthumes
« Fait contradictoire, il y a des vérités à vomir, mate­ria peccans, dont on veut totalement se débarras­ser : on s'en dépêtre en les communiquant. »
Sans doute une note prise par Nietzsche lors d'une conversation avec son médecin. La materia peccans est un terme de Hahnemann (1755-1843), inventeur de l'homéopathie, dési­gnant la matière pécheresse présente dans le corps, et qui est à l'origine des maladies.

Nietzsche : Fragments posthumes
« Le monde persiste ; il n'est rien qui devienne, rien qui passe. Ou mieux : il devient, il passe, mais il n'a jamais commencé à devenir ni ne cessera de pas­ser — il se conserve dans les deux processus... Il vit de lui seul : ses excréments sont sa nourriture. »

Michel Serres : Le temps des Crises
« Du coup, les institutions encore dominantes, vieillies brutalement comme les dinosaures d'antan, se réfugient dans la drogue du spectacle. Du pain, certes, économie, pouvoir d'achat, chômage..., du pain, certes, mais surtout des jeux, pour faire oublier le pain : jeux télévisés, radiophoniques, sportifs, voire électoraux. Nous assistons, navrés, à la distribution permanente de la drogue des spectacles en tout genre. Occidental, toxicomane. »

Michel Serres : Le temps des Crises
« Pour éviter de traiter les questions vraies, si difficiles, notre société se réfugie, comme on sait, dans la représentation et le spectacle : de la terreur, de la pitié, d'une part, avec des morts et des cadavres, pour lester de réel et de grave des répétitions vaines ; du pain et des jeux, de l'autre, pour susciter l'intérêt. Elle se drogue alors à la question : qui va gagner ? Sans cesse reprise, celle-ci lance et promeut un temps haletant, celui d'un suspense toujours recommencé. Qui va gagner, aux élections, à la meilleure vente, au football, aux médailles des Jeux...? Curieuse attente d'une issue que tout le monde, pourtant, connaît à l'avance : gagne toujours le plus riche, aux jeux Olympiques aussi bien qu'au foot et aux élections. »

Michel Serres : Le temps des Crises
« Comment l'ancien couplage asymétrique, très dur, peut-il ainsi se défaire ? Par une seconde évidence que ces mêmes sciences nous apprennent : les choses de la Terre et de la vie, disent-elles, comme nous codées, savent et peuvent recevoir de l'information, en émettre, la stocker, la traiter. Ces quatre opérations, citées déjà et plusieurs fois tantôt, mais reprises ici parce que rien, aujourd'hui, ne me paraît plus important que de méditer sur leur caractère doux, spécifient toutes les choses du monde, sans exception, nous compris. Ce quadruple exploit ne nous illustre pas comme sujets ni ne les désigne pour objets. De même que nous communiquons, entendons et parlons, écrivons et lisons, les choses inertes comme les vivants émettent et reçoivent de l'information, la conservent et la traitent. Nous voici à égalité. Asymétrique et parasite, l'ancien partage sujet-objet n'a plus lieu; tout sujet devient objet; tout objet devient sujet. »

Michel Serres : Le temps des Crises
« Que les savants puissent parler au nom de la Biogée exige qu'ils prêtent d'abord un Serment dont les termes les libèrent de toute inféodation aux trois classes précédentes. Pour devenir plausibles, il faut que, laïques, ils jurent ne servir aucun intérêt militaire ni économique. »

Jean Claude Ameisen : La sculpture du vivant
« Plus de quatre-vingt-dix-neuf pour cent des espè­ces apparues depuis quatre milliards d'années se sont pro­bablement à jamais éteintes. Le monde chatoyant qui nous entoure est un monde de rescapés. La longue course du vivant à travers le temps a été une traversée sur la mer houleuse de la contingence. Si cette histoire s'était répétée plusieurs fois, elle se serait sans doute déroulée de plusieurs manières différentes. L'histoire du vivant est une succes­sion, imprévisible, d'accidents étranges, terribles ou mer­veilleux. »

Jean Claude Ameisen : La sculpture du vivant
« la déconstruction du corps, à mesure qu'il se construit, est une des composantes essentielles de l'élaboration de la complexité. »

Jean Claude Ameisen : La sculpture du vivant
« L'embryon est un univers en expansion, un univers à la fois merveilleux et inquiétant, qui grandit, se sculpte, se construit et se dévore. Les aliments qu'il faut aux cellules pour se dédoubler, pour devenir deux, puis quatre, puis huit, pour faire naître d'une cellule originelle unique des milliards de cellules, l'embryon les tire du sang de sa mère chez les mammifères. Mais il se nourrit aussi des cel­lules qu'il a fait naître à mesure qu'elles s'autodétruisent. Son corps est un univers en expansion, où s'engouffrent les cellules qui se suicident. L'embryon se dévore à mesure qu'il se construit, se nourrissant d'une partie des cellules qu'il fait naître et que le chant des signaux qui parcourent son corps a condamnées à disparaître. »

Jean Claude Ameisen : La sculpture du vivant
« On ne le sait pas encore. Mais une nouvelle frontière, mouvante, vient d'apparaître entre le royaume de la vie et le royaume de la mort. Pour une cellule, basculer vers la mort, c'est peut-être tout simplement cesser, pour la première fois, d'affirmer son appartenance à la communauté des vivants. »

Jean Claude Ameisen : La sculpture du vivant
« À l'âge adulte, nous sommes constitués de plusieurs dizaines de milliers de milliards de cellules, réparties en plus d'une centaine de familles différentes, formant plusieurs dizaines d'organes et de tissus. Chaque jour, probablement, plus de cent milliards de nos cellules se dédoublent, en moyenne plusieurs millions à chaque seconde. Chaque jour, probablement, plus de cent milliards de nos cellules s'autodétruisent — plusieurs millions par seconde. Elles fragmen­tent leur corps et leur noyau, effaçant la bibliothèque de leurs gènes, et disparaissent, englouties par les cellules environ­nantes. Leur mort, discrète, rapide, inapparente, ne cause aucune lésion. »

Jean Claude Ameisen : La sculpture du vivant
« Au début des années 1990, une nouvelle notion de la vie émergea : vivre, pour chaque cellule qui compose notre corps, c'est, à chaque instant, avoir réussi à réprimer le déclenchement de son suicide. La différenciation qui conduit, dans les différentes familles cellulaires, au ver­rouillage de la plupart des gènes — y compris, dans de nombreuses familles cellulaires, dont les neurones, au ver­rouillage des gènes qui permettent aux cellules de se dédou­bler — n'oblitère jamais, semble-t-il, dans aucune cellule tout au long de notre vie, certaines des informations génétiques permettant de déclencher l'exécution du suicide. Au cœur de chaque cellule, la mort est enfouie, tapie, prête à bondir. »

Jean Claude Ameisen : La sculpture du vivant
« Parce qu'il y a une infinité de manières de lire une partition génétique, parce qu'aucune cellule-fille ne sera une copie exacte de sa mère et qu'aucune cellule-mère n'est une copie exacte de la cellule qui lui a donné nais­sance, notre corps fait scintiller la palette des interpréta­tions possibles et leur laisse la possibilité provisoire de s'incarner. Seule survivra la cellule capable de percevoir et de répondre au mieux, à un moment donné, au signal de survie. Seule survivra la cellule capable de s'intégrer au mieux, à un moment donné, à la société qui l'entoure. Tout au long de notre existence, comme pendant la période de développement embryonnaire, notre corps se construit, s'auto-organise et se renouvelle en explorant la gamme des possibles. Il emprunte un parcours sinueux laissant à la puissance et à la richesse du hasard la possi­bilité de s'exprimer. »

Jean Claude Ameisen : La sculpture du vivant
« La frontière entre le contrôle de la vie et de la mort s'estompe. Vivre, c'est porter au plus profond de soi la potentialité de se donner la mort. Et la pérennité d'une cellule dépend sans doute à chaque instant de sa capacité à contrebalancer le pouvoir de la plupart de ses composantes de déclencher sa disparition avant l'heure. »

Yukio Mishima : Après le banquet
« Noguchi était le seul à ne pas parler du passé. Avant de revenir au ministère, il avait été ambassadeur dans plusieurs petits pays. La vie luxueuse de ces postes n'avait plus d'intérêt pour lui. En ne parlant pas du passé, cela seul révélait qu'il n'était pas encore un homme mort. »

Yukio Mishima : Après le banquet
Conversation entre Kazu et Yamazaki :
— Je suis étonné, madame, le patron de cette boulangerie est un conservateur, membre du conseil de préfecture...
— Ah ! Vraiment ? Je l'ignorais. Eh bien, cela aura au moins pour résultat de jeter la surprise dans les rangs ennemis.
— Que voulez-vous faire de tous ces pains fourrés ?
— Je vais les porter à l'orphelinat du quartier de Kôtô.
— Les orphelins ne sont pas électeurs !
— Mais ils sont entourés d'une foule d'adultes qui sont des êtres sensibles.

Yukio Mishima : Après le banquet
« Un homme qui a des aspirations politi­ques a des ennemis ; un homme qui a des aspirations poétiques ne devrait pas en avoir. »

Trinh Xuan Thuan : Origine
« C'est cette minuscule partialité d'un milliardième en faveur de la matière qui fait que nous existons. La rupture de symétrie engendre la créativité, alors que la parfaite symétrie est source de stérilité. »

Trinh Xuan Thuan : Origine
« Si le système solaire présente des régularités, les irrégularités n'en sont pas absentes. Comme partout dans la nature, c'est toujours l'interaction du régu­lier avec l'irrégulier, du chaos avec l'harmonie, qui façonne le réel. La réalité résulte invariablement des effets combinés du fortuit et du nécessaire, du parti­culier et du général, de l'imprévisible et du prévisible, du contingent et de l'universel. L'universel ne dépend ni du temps ni de l'espace. Ainsi, l'effon­drement gravitationnel de la nébuleuse solaire, le déclenchement des réactions nucléaires en son cœur, la formation d'un disque protoplanétaire, le jeu de l'agglomération des planétésimals pour engendrer les planètes : tous ces faits relèvent de l'universel. Nous pensons que ces événements se sont répétés et se répéteront maintes et maintes fois dans notre Voie lactée et dans les cent milliards d'autres galaxies de l'univers observable, notre système solaire n'étant qu'un parmi d'innombrables autres au sein du cos­mos. »

Trinh Xuan Thuan : Origine
« En fin de compte, c'est le Soleil qui, en dispensant son énergie et sa chaleur à la Terre et en étant responsable de la photosynthèse, crée le désordre nécessaire pour que l'ordre qu'est la vie apparaisse sur Terre. De manière encore plus générale, les étoiles sont les agents qui engendrent le désordre nécessaire pour compenser l'ordre requis par l'organisation cos­mique et l'apparition de la vie. »

Trinh Xuan Thuan : Origine
« Ainsi, pour Lamarck, les girafes ont le cou long à force de l'étirer pour atteindre les feuilles des plus hautes branches des arbres. Chaque millimètre ainsi gagné est transmis héréditairement de génération en génération. Les idées de Lamarck sont complètement abandonnées aujourd'hui, car la génétique a démontré qu'une protéine modifiée (à cause d'un cou plus long, par exemple) ne pourrait en aucun cas transmettre l'information de l'état nouveau aux gènes ni changer la séquence des bases. La transmission des traits acquis n'est donc pas possible. Les mutations génétiques peuvent se produire natu­rellement (erreurs dans la réplication de l'ADN) ou être provoquées par des rayonnements énergétiques (comme les rayons X, la radioactivité ou les rayons cosmiques). Mais, qu'elles soient naturellement ou artificiellement induites, elles se produisent toujours de manière aléatoire, sans aucune intentionnalité ou direction prédéterminée. Le hasard prime sur la nécessité. Chaque bifurcation dans l'arbre de la vie résulte d'une rencontre non programmée entre une mutation génétique et un environnement. La sélection naturelle entre ensuite en jeu pour orienter et pousser l'évolution. »

Alejandro Jodorowsky : L'arbre du Dieu pendu
« Teresa se sentait aussi morte que son père ou sa sœur. Seul le devoir familial — et aussi la haine — la maintenait en vie. Surtout la haine. C'était une source d'énergie qui lui permettait de supporter le monde rien que pour pouvoir le maudire. Elle voyait en toute chose la présence d'un dieu cruel et méprisable. Il n'y avait rien qui ne lui semblât absurde, provisoire, inutile. La trame de la vie était la douleur. Elle savait détecter la peur incessante dans les rires, les moments de plaisir, dans l'innocence stupide des enfants. Pour elle, le monde était une prison, un pourrissoir, le rêve malade du monstrueux Créateur. Mais ce qui la gênait le plus (une colère qui lui faisait pousser des injures du lever au coucher), c'était de savoir, sans vouloir se l'avouer, que cette haine dissimulait un excès d'amour. »

Alejandro Jodorowsky : L'arbre du Dieu pendu
« Nous, ses disciples, nous avons formé le Comité des Frères qui ne considère pas que la liberté est une rébellion mais la conservation d'une imagination sans bornes malgré les restrictions imposées par le pouvoir. »

Alejandro Jodorowsky : L'arbre du Dieu pendu
« Mais venons-en au fait : le pouvoir n'est pas créatif et les riches s'ennuient. Ils possèdent tout sauf eux-mêmes. C'est logique. Pour se trouver soi-même, il faut tout lâcher et eux, au contraire, s'approprient tout. »

Alejandro Jodorowsky : L'arbre du Dieu pendu
« Jashé poussa un cri d'horreur, puis mit ses mains devant sa bouche, honteuse d'elle-même, de son égoïsme. Son bien-aimé s'offrait au monde en mourant pour lui, et par ce geste même faisait naître un Art immortel. En incluant la mort dans la création de la beauté, il la supprimait. »

René Girard: Achever Clausewitz
«Voyez Napoléon, toujours contraint d'attaquer et de mobiliser de plus en plus de forces. Celui qui se défend, par contre, peut préparer une contre-attaque décisive, plus redoutable que l'attaque : c'est alors, mais alors seulement, que la polarité s'appli­quera. Ce point est absolument fondamental, et nous touchons ici à la seconde grande intuition de Clausewitz, qui prend la forme d'un paradoxe : le conquérant veut la paix, le défenseur veut la guerre. »

René Girard: Achever Clausewitz
« Le défenseur est donc à la fois celui qui commence et qui achève la guerre. Il détermine, par la nature de ses forteresses, de ses armées, celle aussi de son commandement, ce que sera l'attaque. Il a le choix du terrain, le soutien du peuple et bénéficie de l'usure de l'attaque, dont l'élan premier finit par s'affaiblir ; enfin, il décide du moment de la contre-attaque. »

René Girard: Achever Clausewitz
« Car il a révélé depuis plus de deux mille ans l'inanité des sacrifices, n'en déplaise à ceux qui voudraient encore croire à leur utilité. Le Christ a retiré aux hommes leurs béquilles sacrificielles, et il les a laissés devant un choix terrible : ou croire à la violence, ou ne plus y croire. Le christianisme, c'est l'incroyance. »

René Girard: Achever Clausewitz
« il y a un moment où la violence mimétique - chacun imitant l'autre et devenant son rival pour acquérir des objets de plus en plus symboliques -, la violence est tellement répandue dans le groupe, que ce groupe en fusion évite inconsciemment l'autodestruction en polarisant sa vio­lence sur un individu qui peut être plus visible ou plus inquiétant. La mimésis est ainsi à la fois la cause de la crise et le moteur de la résolution. La victime est tou­jours divinisée après qu'elle a été sacrifiée : le mythe est donc le mensonge qui dissimule le lynchage fondateur, qui nous parle de dieux mais jamais des victimes que ces dieux ont été. Le rite répète ensuite ce sacrifice premier (à la victime première font suite des victimes de substitu­tion : enfants, hommes, animaux, offrandes diverses...), et de la répétition des rites naissent les institutions, qui sont les seuls moyens trouvés par les hommes pour retar­der l'apocalypse. »

René Girard: Achever Clausewitz
« L'emploi de Wechselwirkung, et de ses deux sens : « action réciproque » et « commerce » permet en outre de com­prendre pourquoi Clausewitz établit une équivalence entre la guerre et l'échange monétaire, et pourquoi il ne fait pas de réelle différence entre ces deux activités. Il y a, à cet égard, chez lui, une formidable prophétie de Marx : le commerce ne serait pas une métaphore de la guerre, mais concernerait la même réalité.
Nous sommes aux antipodes de Montesquieu, pour qui le commerce est ce qui permet d'éviter les conflits armés. Clausewitz reproche à la Révolution française son caractère exalté, le mépris qu'elle a des activités privées. Les Prussiens, pense-t-il en revanche, font du commerce avec moins d'intensité qu'ils font la guerre, mais il s'agit de la même activité. Notez que la vision irénique des échanges de Montesquieu est toujours très présente chez les économistes d'aujourd'hui, qui n'ont souvent pas idée que la monnaie puisse être là pour neutraliser les risques de guerre. Ce n'est pas un hasard, de ce point de vue, si les aristocraties européennes se sont reconverties dans les affaires, une fois les modèles héroïques et guerriers deve­nus caduques. La France a très vite pris du retard sur l'Angleterre : Louis XIV avait encore des visées impé­riales sur l'Europe, quand l'Angleterre, elle, conquérait le monde de façon beaucoup plus efficace. Le commerce est une guerre redoutable, d'autant qu'elle fait moins de morts C'est pour des raisons strictement économiques que les aristocrates français étaient pauvres en 1789. Et c'est pour la même raison que l'Angleterre et 1 Allemagne ont finalement gagné contre Napoléon. »

René Girard: Achever Clausewitz
« Mais la justice elle-même peut s'avérer être une institu­tion fragile, ne pas pouvoir retenir à son tour ce que la monnaie n'a pu éviter. Il faudrait ici faire des distinc­tions, affiner cette intuition par une comparaison avec d'autres types de rituels ; convoquer surtout des écono­mistes à ce chantier. Retenons pour notre discussion que le commerce est une institution destinée à retenir la vio­lence : la relation morale est d'un autre ordre, elle sup­pose un pardon, c'est-à-dire un don total. »

René Girard: Achever Clausewitz
« On peut donc en déduire que l'hominisation a com­mencé quand ces rivalités internes sont devenues assez fortes pour briser les réseaux de dominance animaux, et libérer une vengeance contagieuse. L'humanité n'a pu naître et survivre en même temps que parce que les prohi­bitions religieuses ont émergé assez tôt pour parer à ce risque d'autodestruction. Mais comment ces prohibi­tions ont-elles émergé ? Seuls les mythes de fondation (ou les mythes d'origine) nous renseignent sur ce point. Ils débutent en général par le récit d'une crise immense symbolisée d'une manière ou d'une autre : dans le mythe d'Œdipe, nous l'avons vu, c'est une épidémie de peste ; ce peut être ailleurs une sécheresse ou un déluge, ou encore un monstre cannibale qui dévore la jeunesse d'une cité. Derrière tous ces thèmes, on trouve une dislo­cation des liens sociaux, ce que Hobbes appelle « la guerre de tous contre tous ».
Que se passe-t-il ? Dès que cette agitation a « indiffé­rencié » l'ensemble des membres de la société, l'imitation devient plus intense que jamais, mais opère différem­ment et avec différents types d'effets. Quand le groupe est devenu une foule, l'imitation tend d'elle-même à le réunifier : des substitutions interviennent, la violence se polarisant sur des antagonistes de moins en moins nom­breux, cela jusqu'au dernier. Les hommes ont découvert la cause du trouble et ils finissent enfin par se ruer, comme un seul homme, sur un ennemi désormais uni­versel, ceci pour le lyncher. La même énergie mimétique qui avait provoqué un désordre de plus en plus grand, tant qu'il y avait assez de rivaux pour s'opposer, va finale­ment rassembler toute la communauté contre le bouc émissaire et faire revenir la paix. »

René Girard: Achever Clausewitz
« Pourquoi Clausewitz, qui entrevoit et le principe de l'action réciproque, et celui de la montée aux extrêmes, c'est-à-dire le mouvement apocalyptique de l'histoire, s'interdit-il d'aller jusqu'au bout de cette pensée fulgurante et se replie sur une forme d'héroïsme individuel ? Il s'agirait d'une sorte de reniement si le duel n'était pas toujours là, en filigrane. Ce qui n'est pas explicitement pensé, mais constitue souvent le moteur d'une pensée, Nietzsche nous a appris à l'appeler ressentiment. Je pour d'un cran cette intuition en disant que le ressentiment, par définition mimétique, produit de la méconnaissance, c'est-à-dire du sacré. »

René Girard: Achever Clausewitz
« La première mort de Dieu ne débouche pas sur la restauration du sacré et de l'ordre rituel, mais sur une décomposition du sens tellement radicale et irrémédiable qu'un abîme s'ouvre sous les pas de l'homme moderne. Cet abîme, on a l'impression dans l’aphorisme, qu'il se referme enfin, quand la deuxième annonce débouche, cette fois sur l'ordre du surhomme de Zarathoustra : « Quelles expiations, quels jeux sacrés serons-nous forcés d'inventer ? La grandeur de cet acte est trop grande pour nous. Ne faut-il pas devenir dieux nous-mêmes pour, simplement, avoir l'air digne d'elle. » L'aphorisme affirme l'éternel retour. Mais il en révèle le moteur, le meurtre collectif de victimes arbitraires. Il va trop loin dans la révélation. Il détruit son propre fondement. Du fait même qu'elle fonde l’éternel retour sur le meurtre collectif, son fondement vrai qui devait rester caché pour rester fondateur, cette violence est minée, secrètement subvertie par cela même dont elle croit triompher, le christianisme. C'est tout le drame de Nietzsche que d'avoir vu et de ne pas avoir voulu comprendre cette sape opérée par le biblique. La violence n'a plus de sens. Nietzsche va pourtant essayer de lui en redonner, en pariant sur Dionysos. Il y a là un drame terrible, un désir d'Absolu dont Nietzsche ne sortira pas. »

René Girard: Achever Clausewitz
« Hölderlin sent donc que l'Incarnation est le seul moyen donné à l'humanité pour affronter le silence très salubre de Dieu : le Christ a interrogé ce silence sur la Croix, puis il a lui-même imité le retrait de son Père en le rejoignant le matin de sa Résurrection. Le Christ sauve les hommes « en brisant son sceptre solaire ». Il se retire au moment même où il pourrait dominer. Il nous est donc donné d'éprouver à notre tour ce péril de l'absence de Dieu, expérience moderne par excellence — car c'est le moment de la tentation sacrificielle, de la régression possible vers les extrêmes —, mais aussi expérience rédemptrice. Imiter le Christ, c'est refuser de s'imposer comme modèle, toujours s'effacer devant autrui. Imiter le Christ, c'est tout faire pour ne pas être imité. »

René Girard: Achever Clausewitz
« Rappelons que le Directoire voulait rejeter Bonaparte sur l'Italie, parce qu'il voyait bien qu'il était dangereux. On lui donnait une armée sans chaussures, et pourtant les résultats éclatants vinrent de là, et non pas du front allemand. Moins les moyens de Bonaparte étaient grands et plus son génie s'est manifesté. Pour des gens orgueilleux comme lui, c'était parfaitement normal. On n'a pas peur de l'échec lorsque l'échec est la chose qui doit se produire, ce que vos ennemis attendent et que la raison raisonnante impose. Là, vous devenez paradoxal et capable de tout. »

René Girard: Achever Clausewitz
« Plus je veux la paix, c'est-à-dire conquérir, plus je cherche à affirmer ma différence, et plus je prépare une guerre que je ne maîtriserai pas, qui se servira de moi. C'est ainsi que Y indifférenciation devient planétaire, que la vio­lence mimétique croît à l'insu de ses acteurs. Cela est beau­coup plus réel que la « ruse de la raison » hégélienne, beaucoup moins abstrait que « l'arraisonnement du monde à la technique » de Heidegger. Clausewitz nous permet de le comprendre. »

Clausewitz : De la Guerre
« Il est donc naturel que celui qui met le premier en action le concept de guerre et qui conçoit l'idée de deux partis opposés, soit aussi le premier à dicter ses lois à la guerre, et qu'il soit le défenseur. »

Clausewitz : De la Guerre
« La décision par les armes représente pour toute opération de guerre, grande et petite, ce que le paiement en espèces représente dans les transactions financières. Si vagues que soient ces rapports, le règlement ne saurait faire totalement défaut, même s'il est rare. »

Claude Levi Strauss: Anthropologie Structurale
« Sans réduire la société ou la culture à la langue, on peut amorcer cette révolution copernicienne qui consistera à interpréter la société, dans son ensemble, en fonction d'une théorie de la communication. Dès aujourd'hui, cette tentative est possible à trois niveaux: car les règles de la parenté et du mariage servent à assurer la communication des femmes entre les groupes, comme les règles économiques servent à assurer la communication des biens et des services, et les règles linguistiques, la communication des messages. »

Claude Levi Strauss: Anthropologie Structurale
« Il ne nous semble pas douteux qu'on aboutirait alors à la même conclusion, à savoir : que l'archaïsme véritable est l'affaire de l'archéologue et du préhistorien, mais que l'ethnologue, voué à l'étude de sociétés vivantes et actuelles, ne doit pas oublier que, pour être telles, il faut qu'elles aient vécu, duré, et donc changé. Or, un changement, s'il suscite des conditions de vie et d'organisation si élémentaires qu'elles évoquent seulement un état archaïque, ne saurait être qu'une régression. Est-il possible, par une critique interne, de distinguer ce pseudoarchaïsme du vrai ? »

Claude Levi Strauss: Anthropologie Structurale
« Depuis les travaux de Cannon, on aperçoit plus clai­rement sur quels mécanismes psychophysiologiques reposent les cas, attestés dans de nombreuses régions du monde, de mort par conjuration ou envoûtement : un individu conscient d'être l'objet d'un maléfice est inti­mement persuadé, par les plus solennelles traditions de son groupe, qu'il est condamné ; parents et amis parta­gent cette certitude. Dès lors, la communauté se rétracte : on s'éloigne du maudit, on se conduit à son égard comme s'il était, non seulement déjà mort, mais source de danger pour tout son entourage ; à chaque occasion et par toutes ses conduites, le corps social suggère la mort à la malheureuse victime, qui ne prétend plus échapper à ce qu'elle considère comme son inéluctable destin. Bientôt, d'ailleurs, on célèbre pour elle les rites sacrés qui la conduiront au royaume des ombres. »

André MALRAUX: La Condition humaine
Valérie à Ferral : « Ne croyez-vous pas, cher, que les femmes ne se donnent jamais (ou presque) et que les hommes ne possèdent rien ? C'est un jeu : « Je crois que je la possède, donc elle croit qu'elle est possédée... » Oui ? Vraiment ? Ce que je vais dire est très mal, mais croyez-vous que ce n'est pas l'histoire du bouchon qui se croyait tellement plus important que la bouteille ? »

André MALRAUX : La Condition humaine
« Mon père pense, dit lentement Kyo, que le fond de l'homme est l'angoisse, la conscience de sa propre fatalité, d'où naissent toutes les peurs, même celle de la mort... mais que l'opium délivre de cela, et que là est son sens. »

André MALRAUX : La Condition humaine
« La pièce aux phénix était vide : son père sorti, May toujours dans la chambre. Avant d'ouvrir il s'arrêta, écrasé par la fraternité de la mort, découvrant combien, devant cette communion, la chair restait dérisoire malgré son emportement. Il comprenait maintenant qu'accepter d'entraîner l'être qu'on aime dans la mort est peut-être la forme totale de l'amour, celle qui ne peut pas être dépassée. »

André MALRAUX : La Condition humaine
Dialogue entre Gisors et Ferral: « — Rouges ou bleus, disait Ferral, les coolies n'en seront pas moins coolies; à moins qu'ils n'en soient morts. Ne trouvez-vous pas d'une stupidité caractéristique de l'espèce humaine qu'un homme qui n'a qu'une vie puisse la perdre pour une idée ?
— Il est très rare qu'un homme puisse supporter, comment dirais-je ? sa condition d'homme...
Il pensa à l'une des idées de Kyo : tout ce pour quoi les hommes acceptent de se faire tuer, au-delà de l'intérêt, tend plus ou moins confusément à justifier cette condition en la fondant en dignité : christianisme pour l'esclavage, nation pour le citoyen, communisme pour l'ouvrier. Mais il n'avait pas envie de discuter des idées de Kyo avec Ferral. Il revint à celui-ci :
— Il faut toujours s'intoxiquer : ce pays a l'opium, l'Islam le haschisch, l'Occident la femme... Peut-être l'amour est-il surtout le moyen qu'emploie l'Occidental pour s'affranchir de sa condition d'homme... »

André MALRAUX : La Condition humaine
« Beaucoup moins de femmes se coucheraient, répondait Ferrai, si elles pouvaient obtenir dans la position verticale les phrases d'admiration dont elles ont besoin et qui exigent le lit. »

André MALRAUX : La Condition humaine
« Sinon par vous, n'est-ce pas, par un autre. C'est comme si un général disait : avec mes soldats, je puis mitrailler la ville. Mais, s'il était capable de la mitrailler, il ne serait pas général... D'ailleurs, les hommes sont peut-être indifférents au pouvoir... Ce qui les fascine dans cette idée, voyez-vous, ce n'est pas le pouvoir réel, c'est l'illusion du bon plaisir. Le pouvoir du roi, c'est de gouverner, n'est-ce pas ? Mais, l'homme n'a pas envie de gouverner : il a envie de contraindre, vous l'avez dit. D'être plus qu'homme, dans un monde d'hommes. Échapper à la condition humaine, vous disais-je. Non pas puissant : tout-puissant la maladie chimérique, d'ont la volonté de puissance n'est que la justification intellectuelle, c'est la volonté de déité : tout homme rêve d'être dieu. »

André MALRAUX : La Condition humaine
« Lui avait aimé une Japonaise parce qu'il aimait la tendresse, parce que l'amour à ses yeux n'était pas un conflit mais la contemplation confiante d'un visage aimé, l'incarnation de la plus sereine musique, — une poignante douceur. »

André MALRAUX : La Condition humaine
Gisors à May: « On peut tromper la vie longtemps, mais elle finit toujours par faire de nous ce pour quoi nous sommes faits. Tout vieillard est un aveu, allez, et si tant de vieillesses sont vides, c'est que tant d'hommes l'étaient et le cachaient. Mais cela même est sans importance. Il faudrait que les hommes pussent savoir qu'il n'y a pas de réel, qu'il est des mondes de contemplation — avec ou sans opium — où tout est vain... »

André MALRAUX : La Condition humaine
Gisors à May: « Vous connaissez la phrase : « Il faut neuf mois pour faire un homme, et un seul jour pour le tuer ». Nous l'avons su autant qu'on peut le savoir l'un et l'autre... May, écoutez : il ne faut pas neuf mois, il faut soixante ans pour faire un homme, soixante ans de sacrifices, de volonté, de... de tant de choses! Et quand cet homme est fait, quand il n'y a plus en lui rien de l'enfance, ni de l'adolescence, quand, vraiment, il est un homme, il n'est plus bon qu'à mourir. »

Michel Serres : Récit d'humanité
« Vous le savez : n'existe que ce qu'on dit. Ni vous ni moi ni personne n'existons sans réciter notre existence, même au quotidien ; il faut se raconter pour naître ; même une chose, il faut la relater pour qu'elle ait lieu. »

Michel Serres : Récit d'humanité
« Qui suis-je, donc ? Le champion que j'admire et que je mime, vedette de mon théâtre intime, héros de mon récit privé ; je me prends pour tel, dans mon cinéma : certes, je puis me voir en Hamlet, en son confident ou dans le palefrenier du palais ; mon absence de destin imite ces exemples ou un autre non-exemple qui raconte ses anti-Mémoires. À supposer que j'échoue à devenir mon propre champion, au moins disposé-je du choix de ma vedette, de mon chanteur, de mon joueur de football préférés... athlète, de mon Hercule, marin, de mon Ulysse... qui me servent de modèles et que je puis mimer. Je raconte ma vie par procuration. Le nous a remplacé le je, disparu. »

Michel Serres : Récit d'humanité
« Quand, d'aventure, émerge un tenu à partir du discret : alors advient le temps réel, mélangé, je ne sais comment, de tendu, de retenu et de brisé, de ses deux racines en quelque sorte ; alors advient la musique, mélodie soutenue, de même, au moyen de notes et de cris en grains ; alors advient le récit, où ma voix, cassée de consonnes, se lie de voyelles ; alors advient l'histoire, ce tissu de sens issu d'événements choisis ; alors advient le Grand Récit, de la matière liant des nombres et des particules atomiques, de la vie tissant des molécules, de l'humain raconté à partir de rarissimes fossiles... L'Univers, la vie, moi, nous, l'homme même naissent d'un continu, chaque fois singulier, qui jaillit du discontinu de base, s'y mélange, s'y compose, s'y intègre, comment, je ne sais pas, mais je le chercherai. »

Michel Serres : Récit d'humanité
« Désormais sourd à la sienne propre, tel n'entend plus, comme un chien, que la voix de son maître. Là où jadis le théâtre, en des occasions rares et choisies, construisait une âme collective, la continuité du spectacle éradique à leur source les âmes singulières. L'expansion de la sottise offre ici moins de danger que le risque sociopolitique majeur encouru globalement par cette destruction de l'ego personnel et de son récit propre au profit d'un collectif formaté de façon pathologique et totalitaire. La drogue médiatique risque d'enchaîner malades et esclaves. Elle nous force à descendre dans des enfers convenus et aménagés. »

Michel Serres : Récit d'humanité
« À supposer que certaine libido d'appartenance nous agace, à quelle adresse apporterons-nous adhésion, signature et enthousiasme, jusqu'à y consacrer tout ou partie de nos jours ? L'individualisme, dont parfois se plaignent les contemporains doctes, naquit, aussi, de ce dégoût des meurtres perpétrés par les idéologies qui détruisirent ma jeunesse, passée à longer des morts dans des fossés. »

Michel Serres : Récit d'humanité
« Diogène et moi, disais-je, chercherions un groupe, aujourd'hui, non lourd de haines, de menaces et de meurtres, mais plutôt pacifique et léger. Pour le quérir, et d'abord le reconnaître, éteignons la lanterne, inutile de jour et sourde la nuit, ouvrons moins les yeux que les oreilles. Vous désirez toujours voir, que ne cherchez-vous à ouïr ? Quel altiste ne sait pas que l'exécution musicale rapproche les membres de son quatuor, alors que les mots et les phrases souvent les séparent ? Assourdi par les cris d'agonie, hurlés aux conflits de mon enfance, écoeuré par les hymnes de haine et les récits partiaux de l'histoire, j'aime, de la joie pacifiée, le silence. Presque tous les groupes font du bruit. »

Michel Serres : Récit d'humanité
« Voici encore : locaux et mobiles les objets anciens pouvaient devenir objets d'échange, dont les circulations tissaient le collectif ; pas de groupe sans ces objets, pas de société sans échange. Or en raison de leur dimension globale, les nouveaux objets se trouvent désormais, le plus souvent, hors échange. On peut s'emparer des sources, fixes et repérables, mais non voler l'aléa des pluies. Ou plutôt, l'enjeu majeur, demain, portera sur ces questions : oui ou non, l'air, le climat, la naissance, la mort... entreront-ils dans la circulation marchande ? Je parie que non ; si oui, s'ensuivrait une guerre totale qui éradiquerait l'humanité. À objets locaux, sociétés bariolées ; à objets globaux, humanité unitaire. Voilà ce que diraient un réaliste ou un matérialiste conséquent. »

Michel Serres : Récit d'humanité
« apprentissage envahit l'aire de l'instinct. À un bout de mille fils », la plus mimétique de toutes les bêtes se mit à propager des messages autrement que par sexe et corps. Par gestes, plaintes, cris, musique, paroles, écrits, télécommunications... les humains reçoivent de l'information d'autres gens que de leurs parents et en émettent vers d'autres que leurs enfants. Nous cassons et généralisons la généalogie par ces signes, charnels et désincarnés, circulant sur des voies exodarwiniennes, adoptives et libres. D'où des nouveautés d’un autre ordre qui ne cesseront plus. »

Michel Serres : Récit d'humanité
« L'historien, je le répète, trouve toujours, dans la masse immense des faits survenus, assez d'événements propres à confirmer sa thèse. »

Michel Serres : Récit d'humanité
« Derechef, d'où viennent la violence et le Mal ? Du mime, du même, derechef. Il pleut du même dans les champs du désir, de l'argent, de la puissance et de la gloire, peu d'amour ; il pleut du mime, des mêmes ou des idèmes, comme il pleuvait jadis, dans le vide, atomes, paroles ou lettres, pour la fondation du monde. Or quand tous désirent le même, s'allume la guerre de tous contre tous. »

Michel Serres : Récit d'humanité
« Nous ne nous mîmes pas debout d'un coup, nous ne parlâmes point du jour au lendemain, nous ne fabriquâmes pas des outils à la minute, nous attendîmes même des millions d'années pour accéder aux peintures pariétales, à la géométrie, à une connaissance de la vie, nous vivons encore loin de la sagesse, qui de nous connaît l'amour ? »

Jean Paul Sartre : L'enfance d'un chef
« Lucien, pour la seconde fois, se sentit plein de respect pour lui-même. Mais, cette fois-ci, il n'avait plus besoin des yeux de Guigard : c'était à ses propres yeux qu'il paraissait respectable — à ses yeux qui perçaient enfin son enveloppe de chair, de goûts et de dégoûts, d'habitudes et d'humeurs. « Là où je me cherchais, pensa-t-il, je ne pouvais pas me trouver. » Il avait fait, de bonne foi, le recensement minutieux de tout ce qu'il était, « Mais si je ne devais être que ce que je suis, je ne vaudrais pas plus que ce petit youtre. » En fouillant ainsi dans cette intimité de muqueuse, que pouvait-on découvrir, sinon la tristesse de la chair, l'ignoble mensonge de l'égalité, le désordre? »

Yukio Mishima: Soif d'amour
Etsuko écrivit sur son journal intime: « Je pense à S. Elle est dans la même situation que moi. Elle est devenue la compagne de mon cœur. Elle a perdu son mari, elle aussi. Quand je pense à son malheur, je suis consolée. »

Yukio Mishima: Soif d'amour
« Elle était amusée : quelle difficulté elle avait dû surmonter pour donner à Saburo deux paires de socquettes et avec quelle facilité elle avait donné à ce facteur assommant un stylo à bille ! C'est ainsi, pensa-t-elle. Si Ton n'aime pas, il est facile de s'entendre avec les gens. Si l'on n'aime pas... »

Yukio Mishima: Soif d'amour
« Après tout, les gens pour qui la vie est facile n'ont pas à donner d'excuse pour vivre au-delà de cette vie facile. Mais ceux qui la trouvent difficile utilisent bientôt quelque chose de plus comme excuse que le simple fait de vivre. Dire que la vie est difficile n'est rien dont on puisse se vanter. Notre faculté de découvrir toutes les difficultés de la vie aide la majorité des hommes à la rendre facile. Sans cette faculté, la vie serait une sphère vide et glissante où l'on ne trouverait aucun point d'appui. »

Yukio Mishima: Soif d'amour
Au sujet de l'accident de Miyo: « Ils avaient maintenant envie de savoir comment se terminerait ce nouvel incident. Grattant le sable du pied et échangeant des potins, ils en attendaient gaiement le résultat, car cet événement secondaire de la fête n'était rien d'inaccoutumé. Pendant une dizaine de jours, il fournirait un distrayant sujet de conversation. »

Yukio Mishima: Soif d'amour
« Comme un auteur qui se croit un génie parce que ses livres ne se vendent pas, il pensait que le fait de n'être pas invité à faire des conférences témoignait de ce que le monde n'était pas prêt pour recevoir son message. »

Yukio Mishima: Soif d'amour
« Le bruit de la pluie est pareil aux voix de dizaines de milliers de moines lisant des sutras. Yakichi bavarde, Kensuké bavarde, Chiéko bavarde... Ah, que les mots sont inutiles ! Quelle insignifiance ! Quelle futilité ! Quelle duperie que cet affairement perpétuel, cette dépense d'énergie pour une activité dépourvue de sens ! »

TOURGUENIEV : Mémoire d'un chasseur
« Le ciel grisâtre devenait plus clair, plus froid, plus bleu ; quelques étoiles chatoyaient encore, d'autres s'éteignaient tout à fait. La terre devint humide, une moiteur couvrit les feuilles ; çà et là, des bruits, des voix montèrent ; le vent léger du matin prit sa course vagabonde. Je me levai allè­grement et m'approchai des enfants. Ils dormaient d'un profond sommeil autour des foyers éteints ; seul Pavel se souleva à demi et me regarda fixement.
Je lui dis adieu d'un signe de tête et m'en fut tout le long de la rivière embrumée. Je n’avais pas encore fait deux verstes que déjà la large prairie humide, les coteaux qui verdoyaient devant moi, la longue route qui poudroyait derrière, les buissons étincelants, la rivière qui bleuissait pudiquement sous son voile de brouillard, tout le pays s'illumina : la jeune et chaude lumière se déversa en flots d'abord roses, puis rouges, puis dorés. Tout s'agita, s’éveilla, se mit à chanter, à bruire, à vibrer. De tous côtés des diamants s'allumèrent sur les gouttes de rosée. »

TOURGUENIEV : Mémoire d'un chasseur
« Un souffle frais me caressa le visage. J'ouvris les yeux : le jour commençait à poindre. Les lueurs vermeilles de l'aurore n'avaient pas encore paru, mais déjà l'orient pâlissait. On commençait à deviner les choses. Le ciel grisâtre devenait plus clair, plus froid, plus bleu ; quelques étoiles chatoyaient encore, d'autres s'éteignaient tout à fait. La terre devint humide, une moiteur couvrit les feuilles ; çà et là, des bruits, des voix montèrent ; le vent léger du matin prit sa course vagabonde. Je me levai allègrement et m'approchai des enfants. Ils dormaient d’un profond sommeil autour des foyers éteints ; seul Pavel se souleva à demi et me regarda fixement. Je lui dis adieu d'un signe de tête et m'en fus tout le long de la rivière embrumée. Je n'avais pas encore fait deux verstes que déjà la large prairie humide, les coteaux qui verdoyaient devant moi, la longue route qui poudroyait derrière, les buissons étincelants, la rivière qui bleuissait pudiquement sous son voile de brouillard, tout le pays s'illumina : la jeune et chaude lumière se déversait en flots d'abord roses, puis rouges, puis dorés. »

TOURGUENIEV : Mémoire d'un chasseur
« Rien de plus agréable que de rester ainsi couché sous bois, le regard en l'air ! On croit contempler une mer immense qui s'éploie au-dessous de vous ; loin de sortir de terre, les arbres vous paraissent les racines de plantes gigan­tesques qui tombent à pic dans les eaux cristallines ; le feuillage prend ici une transparence d'émeraude, là des tons opaques, mordorés. Quelque part, très loin, une petite feuille immobile prolonge un rameau effilé sur un lambeau d'azur ; à côté, une autre s'agite d'un mouvement qui semble spontané et rappelle le jeu d'une nageoire. Pareils à de féeri­ques îles sous-marines, de blancs nuages voguent et disparaissent lentement. Et soudain, cette mer, cet éther radieux, ces feuilles et ces branches inondées de soleil, tout ruisselle, tout frissonne d'un éclat fugitif ; un bruissement frais s'élève, semblable au léger clapotis d'une houle subite. Immobile, vous contemplez ce spectacle : aucun mot ne saurait tendre la douceur, la joie, la quiétude qui vous pénètrent. La nue profonde appelle sur vos lèvres un sourire aussi chaste qu'elle ; en même temps que la file des nuages au ciel, se déroule en votre âme la lente théorie des souvenirs heureux ; on a l'impression que le regard plonge toujours plus avant et vous entraîne à sa suite vers cet abîme calme et rayonnant ; et l'on ne peut s'arracher à cette profondeur, à cette immensité... »

TOURGUENIEV : Mémoire d'un chasseur
En parlant de Nicolas Ivanytch : « Au reste, n'allez pas croire qu'il agisse ainsi par amour de la justice ou du prochain ; non, il s'efforce simplement de pré­venir tout ce qui pourrait troubler sa tranquillité. »

TOURGUENIEV : Mémoire d'un chasseur
Loukéria à Barine : « Je sais, barine, que ce serait pour mon bien. Mais peut-on venir en aide aux autres ? Peut-on lire dans les âmes ? C'est en soi même qu'on doit trouver son aide ! Vous ne le croiriez pas : parfois, étendue, toute seule... j'ai l'impression qu'il n'y a que moi sur terre, moi seule de vivante. Je sens comme une bénédiction sur moi... Il me vient des idées... étonnantes. »

JEAN TULARD : Napoléon
« L'inégalité entre les hommes doit être abolie ; elle ne pourra l'être tant que la religion et la loi se feront les alliées de ceux qui profitent de cette inégalité. »

JEAN TULARD : Napoléon
« Le traité d'Amiens avait mis fin au conflit qui opposait depuis 1792 la France révolutionnaire à l'Europe des rois. Les vieilles monarchies s'inclinaient ; elles reconnaissaient, du moins en France, la légitimité des nouvelles idées de liberté et d'égalité, qu'elles n'avaient pu étouffer par l'intervention armée. Bonaparte n'était pas seulement l'homme de la paix, il apparaissait comme le sauveur de la Révolution. »

YVES COPPENS : Histoire de l'Homme
« L'histoire des 4 milliards d'années d'évolution de la Vie est comme on peut l'imaginer, très complexe, très irrégulière; à des périodes de développement calme succèdent des périodes très créatrices ou, au contraire, des époques particulièrement destructrices. Durant les seuls 500 derniers millions d'années, on compte ainsi trente-cinq périodes d'extinctions massives, dont cinq ont été importantes... L'extinction fait partie du fonctionnement de cette histoire et il n'est pas besoin de faire appel à des catastrophes spectaculaires et médiatiques pour en expliquer certaines phases. »

YVES COPPENS : Histoire de l'Homme
« Fabrication, partage des biens, mais aussi des connaissances, angoisse existentielle, spiritualité, émotion, altruisme, on n'a que l'embarras du choix pour caractériser l'Homme, même si certains de ces traits doivent être quantifiés pour lui appartenir. »

GOETHE : Faust
Faust: « Maudite soit d'abord la haute opinion dont l'esprit s'enivre lui-même ! Maudite soit la splendeur des vaines apparences qui assiè­gent nos sens ! Maudit soit ce qui nous séduit dans nos rêves, illusions de gloire et d'immortalité ! Maudits soient tous les objets dont la possession nous flatte, femme ou enfant, valet ou charrue ! Maudit soit Mammon, quand, par l'appât de ses trésors, il nous pousse à des entreprises audacieuses, ou quand, par des jouissances oisives, il nous entoure de voluptueux coussins ! Maudite soit toute exaltation de l'amour ! Maudite soit l'espérance ! Mau­dite la foi, et maudite, avant tout, la patience ! »

GOETHE : Faust
Méphistophélès, au sujet des bijoux offerts à Marguerite : « La petite Marguerite fit une moue assez gauche : cheval donné, pensa-t-elle, est toujours bon : et vraiment celui qui a si adroitement apporté ceci ne peut être un impie. La mère fit venir un prêtre : celui-ci eut à peine entendu un mot de cette bagatelle, que son attention se porta là tout entière, et il lui dit : “Que cela est bien pensé ! celui qui se surmonte ne peut que gagner. L’Église a un bon estomac, elle a dévoré des pays entiers sans jamais cepen­dant avoir d'indigestion. L’Église seule, mes chères dames, peut digérer un bien mal acquis.»

GOETHE : Faust
Faust, à Marguerite : « Ô ma chère ! ce que l'on décore tant du nom d'esprit n'est souvent plutôt que sottise et vanité. »

ROLAND BARTHES : Essais critiques
« On entend souvent dire que l'art a pour charge d'exprimer l'inexpri-mable : c'est le contraire qu'il faut dire (sans nulle intention de paradoxe) : toute la tâche de l'art est d'inexprimer l'exprimable, d'enlever à la langue du monde, qui est la pauvre et puissante langue des passions, une parole autre, une parole exacte. »

ROLAND BARTHES : Essais critiques
« Pour Brecht, au contraire, l'art aujourd'hui, c'est-à-dire au sein d'un conflit historique dont l'enjeu est la désaliénation humaine, l’art doit être anti-physis. Le formalisme de Brecht est une protestation radicale contre l'empoissement de la fausse Nature bourgeoise et petite-bourgeoise : dans une société encore aliénée, l’art doit être critique, il doit couper toute illusion, même celle de la “nature”: le signe doit être partiellement arbitraire, faute de quoi on retombe dans un art de l’expression, dans un art de l'illusion essentialiste.»

ROLAND BARTHES : Essais critiques
« Vouloir nous brûle et pouvoir nous détruit : mais savoir laisse notre faible organisation dans un perpétuel état de calme. »

ROLAND BARTHES : Essais critiques
« La tragédie n'est qu'un moyen de recueillir le malheur humain, de le subsumer, donc de le justifier sous la forme d'une nécessité, d'une sagesse ou d'une purification : refuser cette récupération, et rechercher les moyens techniques de ne pas y succomber traîtreusement (rien n'est plus insidieux que la tragédie) est aujourd'hui une entreprise singulière, et, quels qu'en soient les détours “formalistes”, importante. »

ROLAND BARTHES : Essais critiques
« On sait que, pour Michelet, l'Histoire est orientée : elle va toujours vers une plus grande lumière. Non que son mouvement soit purement progressif ; l'ascension de la liberté connaît des arrêts, des retours ; selon la métaphore que Michelet a empruntée à Vico, l'histoire est une spirale : le temps ramène des états antérieurs, mais ces cercles sont de plus en plus larges, nul état ne reproduit exactement son homologue ; l'histoire est ainsi comme une polyphonie de lueurs et d'obscurités qui se répondent sans cesse, entraînées pourtant vers un repos final où les temps doivent s'accomplir : la Révolution française. »

ROLAND BARTHES : Essais critiques
« Voilà le paradoxe de Kafka : l'art dépend de la vérité, mais la vérité, étant indivisible, ne peut se connaître elle-même : dire la vérité, c'est mentir. Ainsi l'écrivain est la vérité, et pourtant quand il parle, il ment : l'autorité d'une œuvre ne se situe jamais au niveau de son esthétique, mais seulement au niveau de l'expérience morale qui en fait un mensonge assumé ; ou plutôt, comme dit Kafka corrigeant Kierkegaard : on ne parvient à la jouissance esthétique de l'être qu'à travers une expérience morale et sans orgueil. »

ROLAND BARTHES : Essais critiques
« Cependant, qu'est-ce que le réel ? On ne le connaît jamais que sous forme d'effets (monde physique), de fonctions (monde social) ou de fantasmes (monde culturel) ; bref, le réel n'est jamais lui-même qu'une inférence ; lorsqu'on déclare copier le réel, cela veut dire que l'on choisit telle inférence et non telle autre : le réalisme est, à sa naissance même, soumis à la responsabilité d'un choix ; c'est là une première maldonne, propre à tous les arts réalistes, dès lors qu'on leur suppose une vérité en quelque sorte plus brute et plus indiscutable que celle des autres arts, dits d'interprétation. »

CHARLES BAUDELAIRE : Le spleen de Paris – Les Foules
« Ce que les hommes nomment amour est bien petit, bien restreint et bien faible, comparé à cette ineffable orgie, à cette sainte prostitution de l’âme qui se donne tout entière, poésie et charité, à l'imprévu qui se montre, à l'inconnu qui passe. »

CHARLES BAUDELAIRE : Le spleen de Paris – la solitude
« Ce grand malheur de ne pouvoir être seul!... dit quelque part La Bruyère, comme pour faire honte à tous ceux qui courent s'oublier dans la foule, craignant sans doute de ne pouvoir se supporter eux-mêmes. »

CHARLES BAUDELAIRE : Le spleen de Paris – les fenêtres
« Si c'eût été un pauvre vieux homme, j'aurais refait la sienne tout aussi aisément.
Et je me couche, fier d'avoir vécu et souffert dans d'autres que moi-même.
Peut-être me direz-vous : “Es-tu sûr que cette légende soit la vraie ?” Qu'importe ce que peut être la réalité placée hors de moi, si elle m’a aidé à vivre, à sentir que je suis et ce que je suis ? »

CHARLES BAUDELAIRE : Le spleen de Paris
« Ensuite on fit apporter de nouvelles bouteilles, pour tuer le Temps qui a la vie si dure, et accélérer la Vie qui coule si lentement. »

ALBERT CAMUS : Le premier homme
« Un homme dur, amer, qui avait travaillé toute sa vie, avait tué sur commande, accepté tout ce qui ne pouvait s'éviter, mais qui, quelque part en lui-même, refusait d'être entamé. Un homme pauvre enfin. Car la pauvreté ne [se] choisit pas, mais elle peut se garder. »

ALBERT CAMUS : Le premier homme
« Seule l'école donnait à Jacques et à Pierre ces joies. Et sans doute ce qu'ils aimaient si passionnément en elle, c'est ce qu'ils ne trouvaient pas chez eux, où la pauvreté et l'ignorance rendaient la vie plus dure, plus morne, comme refermée sur elle-même ; la misère est une forteresse sans pont-levis. »

ALBERT CAMUS : Le premier homme
« Il voulait être content, il l'était quelque part dans sa vanité, et cependant, au moment de sortir du champ vert, se retournant sur Munoz, une morne tristesse lui serra soudain le cœur en voyant le visage déconfit de celui qu'il avait frappé. Et il connut ainsi que la guerre n'est pas bonne, puisque vaincre un homme est aussi amer que d'en être vaincu. »

ALBERT CAMUS : Le premier homme
« comme si ces hommes et cette femme ne pouvaient se définir que dans les rapports avec le pouvoir, le vieux comptable discourtois et indépendant, Mme Raslin perdue dans son rêve sévère, et l'aide-comptable d'une parfaite servilité au contraire. Mais, pendant le reste de la journée, ils rentraient dans leur coquille, et Jacques attendait sur sa chaise l'ordre qui lui donnerait l'occasion d'une agitation dérisoire que sa grand-mère appelait le travail. »

NIETZSCHE : L’antéchrist - §48
«L'ancien Dieu, tout « esprit », tout grand prêtre, toute perfection, déambule dans son jardin; seulement, il s'ennuie. Contre l'ennui, même les dieux sont désarmés. Que fait-il alors? Il invente l'homme — l'homme est diver­tissant... Mais ne voilà-t-il pas que l'homme s'ennuie aussi? Dieu compatit sans réserve à cette misère, la seule qui affecte tous les Paradis : il créa aussitôt d'autres animaux. Première bévue de Dieu : l'homme ne trouva pas les ani­maux divertissants—il régna sur eux, il ne voulut même pas être un «animal» parmi d'autres. — En conséquence, Dieu créa la femme. Et, effectivement, c'en était fait de l'ennui - mais de bien autre chose aussi ! La femme constitue la deuxième bévue de Dieu. « La femme est par nature serpent, Heva» tout prêtre sait cela. « C'est de la femme que vient tout le mal sur la terre » — cela aussi, tout prêtre le sait. Par conséquent, c'est d'elle aussi que vient la science »... Ce n’est que par la femme que l'homme apprit à goûter à l’arbre de la connaissance. Que s'était-il passé? Une peur infernale s'empara de l'ancien Dieu. L'homme même était devenu sa plus grave bévue, il s'était créé un rival car la science rend l’égal de Dieu – c’en est fait des prêtres et des dieux, si l'homme s'adonne à la science ! Moralité : la science est la chose interdite par excellence, elle seule est interdite. La science est le premier péché, le germe de tout péché, le péché originel. Voici la seule morale : « Tu ne connaîtras point.» Tout le reste en découle.»

NIETZSCHE : L’antéchrist - §52
« Croire signifie refuser de savoir ce qui est vrai. »

NIETZSCHE : L’antéchrist - §54
« La conviction est un moyen: il est bien des choses que l’on n'atteint qu'au moyen d'une conviction. La grande passion use et mésuse des convic­tions, elle ne s'y soumet pas — elle se sait souveraine. — Inversement, le besoin de foi, le besoin d'un oui et d'un non absolus, quels qu'ils soient, le “Carlylisme”, si l'on veut bien me passer l'expression, est un besoin propre à la faiblesse. Le croyant, le “crédule” de toute espèce, est nécessairement un homme dépendant — un homme inca­pable de se prendre lui-même pour fin, et qui, de lui-même, ne peut se donner de fins. Le “croyant” ne s'appartient pas, il ne peut qu'être un moyen, il faut qu'il soit utilisé, il a besoin de quelqu'un qui l'utilise. »

NIETZSCHE : L’antéchrist - §57
« Si l'homme d'exception manie précisé­ment les médiocres d'une main plus douce que lui-même et ses pairs, ce n'est pas seulement politesse du cœur, c'est tout simplement son devoir... Qui sont, parmi la canaille d'aujourd'hui, ceux que je hais le plus ? La canaille socia­liste, les apôtres tchandala, qui minent l'instinct, le plaisir, la modération du travailleur satisfait de sa modeste exis­tence, ceux qui le rendent envieux, qui lui enseignent la vengeance... L'injustice n'est jamais dans l'inégalité des droits, elle est dans la prétention à des droits “égaux”... Qu'est-ce donc qui est mauvais ? Mais, je l'ai déjà dit : tout ce qui vient de la faiblesse, de l'envie, du désir de ven­geance. — L'anarchiste et le chrétien ont une seule et même origine.»

NIETZSCHE : Ecce Homo - §4
« Mes expériences me don­nent le droit de me méfier systématiquement des ten­dances “désintéressées” et de tout l’“amour du prochain”, toujours prêt à intervenir en paroles et en acte. À mes yeux, c'est là le défaut par excellence, l'exemple même de l'incapacité à résister aux sollicitations — il n'y a que chez les décadents que la compassion passe pour une vertu. Ce que je reproche aux âmes compatissantes, c'est qu'elles perdent facilement toute pudeur, toute délicatesse, tout respect des distances, c'est que, pour un rien, la compassion sent sa plèbe et ressemble à s’y méprendre aux mauvaises manières, — c'est que des mains compatissantes, peuvent à l'occasion avoir un effet proprement dévastateur lorsqu'elles s'en prennent à un grand destin, à une solitude blessée, et au privilège d'une faute écrasante. Je compte au nombre des vertus aristocratiques le dépassement de la pitié : sous le nom de “tentation de Zarathoustra”. »

NIETZSCHE : Ecce Homo - §7
« L’agression fait partie de mes instincts. Savoir être ennemi, être ennemi, cela suppose peut-être une forte nature ; en tout cas, c'est une condition inhérente à toute forte nature. Celle-ci a besoin de résistances à vaincre, par conséquent elle recherche la résistance : la passion agressive est liée aussi nécessairement à la force que le sentiment de vengeance et de rancœur à la faiblesse. La femme, par exemple, est rancunière : c'est un caractère inhérent à sa faiblesse, de même que sa sensibilité aux détresses d'autrui. »

VOLTAIRE : L’homme aux quarante écus
« Il arrive quelquefois qu'on ne peut rien répondre, et qu'on n'est pas persuadé. On est atterré sans pouvoir être convaincu. On sent dans le fond de son âme un scrupule, une répugnance qui nous empêche de croire ce qu'on nous a prouvé. Un géomètre vous démontre qu'entre un cercle et une tangente vous pouvez faire passer une infinité de lignes courbes, et que vous n'en pouvez faire passer une droite : vos yeux, votre raison, vous disent le contraire. Le géomètre vous répond gra­vement que c'est là un infini du second ordre. Vous vous taisez, et vous vous en retournez tout stupéfait, sans avoir aucune idée nette, sans rien comprendre, et sans rien répliquer. »

VOLTAIRE : L’homme aux quarante écus
Le géomètre : « Cela est incontestable dans la bonne ville de Paris ; mais de ces vingt-trois ans, il en faut retrancher au moins dix de votre enfance : car l'enfance n'est pas une jouis­sance de la vie, c'est une préparation, c'est le vestibule de l'édifice, c'est l'arbre qui n'a pas encore donné de fruits, c'est le crépuscule d'un jour. Retranchez des treize années qui vous restent le temps du sommeil et celui de l'ennui, c'est au moins la moitié : reste six ans et demi que vous passez dans le chagrin, les douleurs, quelques plaisirs, et l'espérance. »

VOLTAIRE : La princesse de Babylone
« Tout le monde avouait que les dieux n'avaient établi les rois que pour donner tous les jours des fêtes, pourvu qu'elles fussent diversifiées ; que la vie est trop courte pour en user autrement ; que les procès, les intrigues, la guerre, les disputes des prêtres, qui consument la vie humaine, sont des choses absurdes et horribles ; que l'homme n'est né que pour la joie ; qu'il n'aimerait pas les plaisirs passionnément et continuelle­ment s'il n'était pas formé pour eux ; que l'essence de la nature humaine est de se réjouir, et que tout le reste est folie. Cette excellente morale n'a jamais été démentie que par les faits. »

VOLTAIRE : La princesse de Babylone
« On parla de la guerre que les deux rois entreprenaient ; on déplora la condition des hommes, que des monarques envoient par fantaisie s’égorger pour des différends que deux honnêtes gens pourraient concilier en une heure… »

VOLTAIRE : Les Lettres d’Amabed – Huitième lettre
« L'année est à peine révolue, et nous voici à la vue de Lisbonne, sur le fleuve du Tage, qui depuis longtemps a la réputation de rouler de l'or dans ses flots. S'il est ainsi, d'où vient donc que les Portugais vont en cher­cher si loin ? Tous ces gens d'Europe répondent qu'on n’en peut trop avoir.»

VOLTAIRE : Les Lettres d’Amabed – dix-neuvième lettre
« Je conçois bien que cet Arioste dise que les moines sont de la canaille ; mais je ne sais pourquoi il prétend qu'ils ne connaissent point l'amour. Hélas ! nous en savons des nouvelles. Peut-être entend-il qu'ils jouissent et qu'ils n’aiment point.»

VOLTAIRE : Le Taureau blanc
« Je le sais, dit la malheureuse princesse, mais les exemples consolent-ils ? Si mon amant était mort, me consolerais-je par l’idée que tous les hommes meurent ? »

VOLTAIRE : Histoire de Jenni – p409
« Vous avez donc, lui dis-je, votre dieu et votre loi ? — Oui, nous répondit-il avec une assurance qui n'avait rien de la fierté ; mon dieu est là », et il montra le ciel ; « ma loi est là-dedans », et il mit la main sur son cœur. »

VOLTAIRE : Les oreilles du conte de Chesterfield – p467
« Le lendemain, les trois penseurs dînèrent ensemble ; et comme ils devenaient un peu plus gais sur la fin du repas, selon la coutume des philosophes qui dînent, on se divertit à parler de toutes les misères, de toutes les sottises, de toutes les horreurs qui affligent le genre animal, depuis les terres australes jusqu'auprès du pôle arctique, et depuis Lima jusqu'à Méaco. Cette diversité d'abomi­nations ne laisse pas d'être fort amusante. C'est un plai­sir que n'ont point les bourgeois casaniers et les vicaires de paroisse, qui ne connaissent que leur clocher, et qui croient que tout le reste de l'univers est fait comme Exchange-alley à Londres, ou comme la rue de la Huchette à Paris. »

DANIEL PENNAC : Messieurs les enfants
Pope demandant à son beau frère : « Samuel, je ne comprends pas. Qu'est-ce que tu vas foutre dans toute cette verdure avec des ty­pes qui ne seront jamais mes clients ? Rabbi Razon avait eu une de ses réponses à lui : je vais prouver à Dieu l'existence de l'homme. »

DANIEL PENNAC : Messieurs les enfants
« Il n'y a pas d'explication possible en vieille ami­tié. Tout reproche de l'un réveille en l’autre le soupçon d'une offense plus ancienne (“c'est pas moi qui ai commencé”) Les amis croient se bat­tre au nom du sentiment bafoué, mais c'est leur innocence qu'ils défendent, pas leur amitié. Et la passion de l'innocence déclenche les guerres les plus meurtrières. »

ALBERT CAMUS : La Chute
« J'ai connu un homme qui a donné vingt ans de sa vie à une étourdie, qui lui a tout sacrifié, ses amitiés, son travail, la décence même de sa vie, et qui reconnut un soir qu'il ne l'avait jamais aimée. Il s'ennuyait, voilà tout, il s'ennuyait, comme la plupart des gens. Il s'était donc créé de toutes pièces une vie de complications et de drames. Il faut que quelque chose arrive, voilà l'explication de la plupart des engagements humains. Il faut que quelque chose arrive, même la servitude sans amour, même la guerre, ou la mort. Vivent donc les enterrements ! »

ALBERT CAMUS : La Chute
« Je sais bien qu'on ne peut se passer de dominer ou d'être servi. Chaque homme a besoin d'esclaves comme d'air pur. Commander, c'est respirer, vous êtes bien de cet avis ? Et même les plus déshérités arrivent à respirer. Le dernier dans l'échelle sociale a encore son conjoint, ou son enfant. S'il est célibataire, un chien. L'essentiel, en somme, est de pouvoir se fâcher sans que l'autre ait le droit de répondre. »

ALBERT CAMUS : La Chute
« Les hommes ne sont convaincus de vos raisons, de votre sincérité, et de la gravité de vos peines, que par votre mort. Tant que vous êtes en vie, votre cas est douteux, vous n'avez droit qu’à leur scepticisme. »

Michel SERRES : Le mal propre
« Du coup, celui qui salit l'espace d'affiches portant phrases et images dérobe le paysage alentour à la vue de tous, tue leur perception, transperce le site par ce même vol. D'abord le paysage, puis le monde. Il ensemence l'espace de ces trous noirs, qui aspirent la sensation et détruisent le perceptible. De quel droit ? Il se conduit comme un squatter universel. De la même façon, aussi impérieuse, une pièce de monnaie se révèle plus facile à voir, à lire, à déchiffrer... que l'objet même qu'elle achète. Elle en bouche la vue ; elle la tue. Le symbole annule la chose. Les signes expriment et suppriment le monde. »

HOLBACH : Système social
« Ce n’est que lui-même que l'homme peut aimer dans les objets qu'il aime ; ce n'est que lui-même qu'il peut affectionner dans les êtres de son espèce… L'homme ne peut jamais se séparer de lui-même dans aucun instant de sa vie ; il ne peut se perdre de vue… C'est toujours notre utilité, notre intérêt qui nous fait haïr ou aimer les objets, mais l'homme, pour son propre intérêt doit aimer les autres hommes, puisqu'ils sont nécessaires à son bien-être… La morale lui prouve que de tous les êtres, le plus nécessaire à l’homme c’est l’homme… La vraie morale, ainsi que la vraie politique, est celle qui cherche à approcher les hommes, afin de les faire travailler par des efforts réunis à leur bonheur mutuel. Toute morale qui sépare nos intérêts de ceux de nos associés est fausse, insensée, contraire à la nature. »

MARX : Théories matérialistes
Au sujet de la vision allemande de l’illusion religieuse comme force motrice de l’histoire : « C'est là une conception vraiment reli­gieuse, car elle repose sur la fiction du premier homme, cet être dont procède toute l'histoire et, dans son imagination, elle substitue la production de phan­tasmes religieux à la production réelle des moyens d'existence et de la vie elle-même. »

MARX : Le Manifeste
À propos du rôle de la bourgeoisie dans l’histoire : « Partout où elle est parvenue à dominer, elle a détruit toutes les conditions féodales, patriarcales, idylliques. Impitoyable, elle a déchiré les liens multicolores de la féodalité qui attachaient l'homme à son supérieur naturel, pour ne laisser subsister d'autre lien entre l'homme et l'homme que l'intérêt tout nu, l'inexorable “paiement comptant”. Frissons sacrés et pieuses fer­veurs, enthousiasme chevaleresque, mélancolie béo­tienne, elle a noyé tout cela dans l'eau glaciale du calcul égoïste. »

FEUERBACH : L’essence du christianisme
« Dieu est précisément l’autosatisfaction de l’égoïsme personnel, jaloux de tout autre, il est l’autojouissance de l’égoïsme. »

FEUERBACH : L’essence du christianisme
« Ainsi, dans le cas présent de la doctrine des deux principes en Dieu, le véritable objet est la pathologie, l’objet imaginé la théologie, c'est-à-dire que la pathologie est érigée en théologie. »

FEUERBACH : L’essence du christianisme
« Ce que l’homme loue et glorifie, est pour lui Dieu ; ce qu’il blâme et rejette, non divin. La religion est un jugement. »

FEUERBACH : L’essence du christianisme
« Et tous ces phénomènes contre nature se produisent dans l’intérêt d’Israël, uniquement sur commandement de Jéhovah qui ne se soucis que d’Israël, n’étant rien si ce n’est l’égoïsme personnifié du peuple israélite, à l’exclusion de tous les autres peuples, et rien sinon l’intolérance absolue, le mystère du monothéisme. »

FEUERBACH : L’essence du christianisme
« L’égoïsme est le Dieu qui ne laisse pas périr ses serviteurs. L’égoïsme est essentiellement monothéiste, et il n’a pour but qu’une seule chose : soi. L’égoïsme rassemble et concentre l’homme sur lui même ; il lui donne un solide et ferme principe de vie ; mais il se rend théoriquement borné parce qu’indifférent à tout ce qui n’est pas en relation avec le bien du soi. »

FEUERBACH : L’essence du christianisme
« Dans les prières, l’homme oublie qu’il existe une limite à ses désirs, et il trouve le bonheur dans cet oubli. »

FEUERBACH : L’essence du christianisme
« Il serait très intéressant et instructif d’écrire une histoire des sciences précisément de ce point de vue, afin d’exhiber dans sa totale nullité le délire de l’individu qui croit pouvoir limiter son genre. Le genre est donc illimité, seul l’individu est limité. »

FEUERBACH : L’essence du christianisme
« Le miracle est le degré suprême de l’égoïsme religieux ou spirituel ; dans le miracle, toutes choses sont au service de l’homme nécessiteux. »

FEUERBACH : L’essence du christianisme
« Plus l’horizon de l’homme est limité, moins il en sait à propos de la nature, de l’histoire, de la philosophie, plus ils s’accrochent à la religion. »

FEUERBACH : L’essence du christianisme
« C’est uniquement l’égoïsme, la vanité, la suffisance des chrétiens qui leur fait voir la paille dans la foi des non-chrétiens et non la poutre dans leur propre foi. »

MARX : Méditation d’un adolescent
« Le mépris de soi, c’est un serpent qui ronge éternellement la poitrine, et qui pompe le sang du cœur et le mêle au poison de la misanthropie et du désespoir. »

MARX : Gloses critiques
« L’existence de l’État et l’existence de l’esclavage sont inséparables. »

MARX : Ébauche d’une critique de l’économie politique
« Dans le comportement à l’égard de la femme, proie et servante de la volupté, s’exprime l’infinie dégradation de l’homme vis à vis de lui-même.»

MARX : Ébauche d’une critique de l’économie politique
« Le besoin d’argent est le vrai et l’unique besoin produit par l’économie politique. »

MARX : Ébauche d’une critique de l’économie politique
« Si j'ai envie d'un repas, si je veux prendre la chaise de poste, n'étant pas assez fort pour faire la route à pied, l'argent me procure le repas et la chaise de poste, c'est-à-dire qu'il transforme mes vœux - êtres imaginaires - et les transfère de leur existence pensée, figurée ou voulue, dans une existence sensible, réelle ; il les fait passer de l'imagination à la vie, de l'être figuré à l'être réel. Cette fonction médiatrice fait de l'argent une puissance véritablement créatrice. »

Michel SERRES : Rameau
« Nous ne levons plus un doigt sans en payer l'impôt ; des myriades d'images envahissent nos représentations et les formatent à leur tour ; nous ne ressentons plus un seul désir sans que la publicité n'en ait déjà suscité les marques en nos âmes-automates ; monde et environnement, actes, objets, sentiments, opinions nous emprisonnent de barreaux serrés. Nous n'allons même plus faire des enfants à l'aveuglette... Nous associons alors tout formatage à la nécessité, celle-ci à l'asservissement et celui-ci à la mort. Liberté, que deviennent tes vieilles victoires ? Mort, viens-tu de triompher ? »

Michel SERRES : Rameau
« Par la chair pécheresse dont seule la foi nous délivre, saint Paul ne désigne pas seulement le corps besoins et passions, mais son plongement dans un collectif dont nous aimons ressentir la chaleur de fusion, subir les lois et partager l'agressivité réactive. Ses Épîtres désignent par là ce que j'appelais naguère libido d'appartenance. La plupart des péchés de la chair, nous les commettons selon l'entraînement mimétique, par pression des pairs et dans l'enthousiasme aveugle de la cohésion nationale, tribale, familiale... par corporatisme ou maffia. Qui a le courage du je ? Nous les commettons plus souvent que je ne les commets, tant le péché concerne le nous, c'est-à-dire la loi, et non le je personnel, qui nous en délivre. Lorsque saint Paul nous “relève de la Loi”, il libère d'abord notre identité propre de ce lien collectif. »

MICHEL SERRES : Rameau
« Nous avons toujours quitté nos-gîtes, l'animalité trop peu, l'Afrique autrefois, les cavernes jadis, l’Antiquité naguère, la terre ferme pour naviguer par la mer mobile et les turbulences de l'air, la cueillette et la chasse avant-hier, l'agriculture hier, l’évolution peu à peu... Notre espèce sort, voilà son destin sans définition, sa fin sans finalité, son projet sans but, son voyage, non, son errance, l’escence-de son hominescence. Nous sortons et faisons sortir de nous nos productions ; nous produisons et nous autoproduisons par ce mouvement incessant de sortie. Nous appareillons. Comme nous laissâmes l'utérus et le sein de la mère, le pays de notre enfance, nos croyances naïves, dix vérités historiques fugitives, à notre langue paysanne... comme nous sortîmes du programme pour apprendre et de l'inné pour acquérir... nous laissons aujourd'hui l'unicité du réel, du monde et de l'homme pour d'autres, possibles. »

DOSTOÏEVSKI : Souvenir de la maison des morts
« Certains prétendent que l'amour le plus élevé qu'on puisse porter à son prochain n'est encore qu'un immense égoïsme. »

DOSTOÏEVSKI : Souvenir de la maison des morts
« Ces aveugles exécuteurs de la loi ne comprennent jamais et ne seront jamais en état de comprendre que l'application de la loi à la lettre, sans se soucier de son esprit, mène tout droit à la rébellion et ne peut mener à autre chose. »

Spinoza : Éthique
«... et c'est ainsi de proche en proche qu'ils ne cesseront de demander les causes des causes, jusqu'à que tu te réfugies dans la volonté de Dieu, c'est-à-dire dans l'asile de l'ignorance. »

Nietzsche : La généalogie de la morale
« Répétons notre question : comment la souffrance peut-elle être une compensation pour des "dettes" ? Parce que faire souffrir donnait un très grand plaisir et que celui qui avait subi le dommage et ces désagréments obtenait en échange une extraordinaire contre-jouissance à faire souffrir. »

Nietzsche : La généalogie de la morale
« De l’air pur donc ? De l’air pur ! Fuyez, en tout cas, le voisinage des hôpitaux et des maisons de fous de la civilisation ! Ayez donc bonne compagnie, notre compagnie ! Ou la solitude s’il le faut ! Mais fuyez en tout cas les mauvaises odeurs de la corruption interne et de la vermoulure secrète des malades. »

Nietzsche : Volonté de puissance – §208
«L’inertie est active dans la confiance parce que la méfiance nécessite la tension, l’observation, la réflexion. »

Nietzsche : Volonté de puissance – §324
« Les plus forts et les plus heureux sont faibles, lorsqu’ils ont contre eux les instincts de troupeau organisé, la pusillanimité des faibles et le grand nombre.»

Nietzsche : Volonté de puissance – §385
« Ce monde n’est pas quelque chose de vague et qui se gaspille, rien qui soit d’une étendue infinie, mais, étant une force déterminée, il est inséré dans un espace déterminé et non point dans un espace qui serait vide quelque part. Force partout, il est jeu des forces et onde des forces, à la fois un et multiple, s’accumulant ici tandis qu’il se réduit là bas, une mer de forces agitées dont il est la propre tempête, se transformant éternellement dans un éternel va-et-vient, avec d’énormes années de retour, avec un flot perpétuel de ses formes, du plus simple au plus compliqué, allant du plus calme, du plus rigide et du plus froid au plus ardent, au plus sauvage, au plus contradictoire, pour revenir ensuite de la multiplicité au plus simple, du jeu des contradictions aux joies de l’harmonie, s’affirmant lui-même, même dans cette uniformité qui demeure la même au court des années, se bénissant lui-même parce qu’il est ce qui doit éternellement revenir étant un devenir qui ne connaît point de satiété, point de dégoût, point de fatigue : ce monde, qui est le monde tel que je le conçois ce monde dionysien de l’éternelle création de soi-même, de l’éternelle destruction de soi-même, ce monde mystérieux des voluptés doubles, mon “part delà le bien et le mal” sans but, si ce n’est un but qui réside dans le bonheur du cercle, sans volonté, si ce n’est pas un cercle qui possède la bonne volonté de suivre sa vieille voie, toujours autour de lui-même et rien qu’autour de lui-même : ce monde, tel que je le conçois, qui donc a l’esprit assez lucide pour le contempler sans désirer être aveugle ? »

Nietzsche : Volonté de puissance – §422
« La civilisation rend-elle l’homme meilleur ? Question comique, vu que le contraire est d’une évidence absolue et que c’est précisément là ce qui parle en faveur de la civilisation. »

RENÉ GIRARD : Les origines de la Culture
« Parler de liberté, c’est évoquer la possibilité qu’a l’homme à résister au mécanisme mimétique. »

RENÉ GIRARD : Les origines de la Culture
« … le réel obstacle en ce qui concerne la théorie mimétique n’est pas tant que les données sont incomplètes ; il provient plutôt de la réticence et de l’incapacité de notre monde scientifique et de l’humanité en générale à remettre en cause ses propres postulats. »

Nietzsche : Le cas Wagner – §1
« Tout ce qui est bon me rend fécond. C’est la seule gratitude que je connaisse, c’est aussi la seule preuve dont je dispose pour désigner ce qui est bon. »

Nietzsche : Nietzsche contre Wagner
« Hélas, le connaisseur du cœur humain soupçonne à quel point l’amour le plus pur et le plus profond est pauvre, impuissant, provocant et gaffeur, à quel point il détruit plus qu’il ne sauve. »

ORACE : Ode, livre 1
« O bienheureux Sestius, la brièveté de la vie nous interdit les longs espoirs. »

ORACE : Epodes, §8
« Peux-tu bien, vieille pourriture centenaire, me deman­der de perdre avec toi ma vigueur, quand tu as des dents noires, que ta vieille figure est toute sillonnée de rides, et qu'entre tes fesses desséchées bâille une affreuse ouverture comme celle d'une vache qui a mal digéré ? Mais tu crois peut-être m'exciter par ta poitrine, tes seins tombants comme les mamelles d'une jument, ton ventre flasque, tes cuisses grêles terminées par une jambe gonflée ?»

ORACE : Satires, Livre 1
« Comment se fait-il, Mécène, que l’homme ne vit jamais content de son sort, qu’il le doive à un choix motivé ou au hasard des circonstances ? Pourquoi juge-t-il heureux les gens qui vivent une nuit opposée à la sienne ? »
« Mais beaucoup d’hommes sont la proie de désirs trompeurs. “On n’a jamais assez, dit l’un, puisque l’on est estimé en proportion de ce que l’on possède.” »
« Je reviens à mon point de départ : comment se fait-il que personne, comme l'avare, ne s'applaudisse de son sort, que chacun juge heureux ceux qui suivent une voie opposée à la sienne ? qu'il se consume de jalousie si sa chèvre a les pis moins gonflés que celle du voisin ? qu'il ne se compare jamais à de plus pauvres, qui sont la majorité ? qu'il se tue à surpasser l'un et l'autre, trou­vant toujours sur sa route, malgré sa hâte, un plus riche que lui ? Ainsi, quand, au sortir des barrières, les chars partent, tirés par les chevaux aux sabots rapides, le cocher tâche de rattraper les bêtes qui sont devant les siennes, sans regarder celle qu'il a dépassée et qui reste parmi les dernières. C'est pourquoi nous trouverons rarement un homme qui se vante d'avoir vécu heureux et qui, son temps fini, parte, content de son existence, comme un convive qui a bien dîné. »

Yukio Mishima: Bouteille thermos
« Il y avait quelque chose de solitaire dans chacune de ces femmes et dans leur appétit. De triste, de solitaire, comme l'action mécanique d'autant de machines à consommer. »

Nietzsche : Aurore - § 48
« Ce n'est qu'au terme de la connaissance de toute chose que l'homme se connaîtra. Car les choses ne sont que les frontières de l'homme. »

Nietzsche : Aurore - § 101
« Accepter une croyance uniquement parce que c'est la coutume, — cela signifie au fond être malhonnête, être lâche, être paresseux ! — ainsi, la malhonnête, la lâcheté et la paresse constitueraient la base de la moralité. »

Rousseau : Émile, ou de l'éducation
« L'homme est de tous les animaux celui qui peut le moins vivre en troupeau. »

Rousseau : Émile, ou de l'éducation
« Un être sensible dont les facultés égaleraient les désirs serait un être absolument heureux. »

Rousseau : Émile, ou de l'éducation
«... Le goût de l'imitation est de la nature bien ordonnée, mais il dégénère en vice dans la société. »

ROUSSEAU : Émile, ou de l'éducation
En parlant des plaisirs amoureux : « S'il est bruyant, il n'est ni voluptueux ni tendre ; tant qu'il se vante, il n'a pas de joie. »

ROUSSEAU : Émile, ou de l'éducation
« Jamais les cœurs sensibles n'aimèrent les plaisirs bruyant, vain et stérile bonheur des gens qui ne sentent rien et qui croient qu'étourdirent sa vie c'est en jouir. »

CHAMFORT : Maxime §347
« La société, qui rapetisse beaucoup les hommes, réduit les femmes à rien. »

NIETZSCHE : Considération inactuelle 1, David Strauss, l'apôtre et l'écrivain
« On croit entendre gronder le tonnerre, mais l'atmosphère ne se trouve pas rafraîchie. Incapable de passer à l'acte, il s'en tient à des paroles agressives, mais les choisit aussi bruyantes que possible et dissipe en déclarations rudes et grondantes tout ce qu'il a amassé en lui de force et d'énergie ; la parole dite, il est plus lâche que celui qui n'a jamais parlé. »

NIETZSCHE : Considération inactuelle 2, De l'utilité et des inconvénients de l'histoire
« Il apprendra alors à comprendre le mot "c'était", formule qui livre l'homme au combat, à la souffrance et au dégoût, et lui rappelle que son existence n'est au fond rien d'autre qu'un éternel imparfait. »

NIETZSCHE : Considération inactuelle 3, Schopenhauer éducateur
« Car les hommes sont maintenant devenus si complexes et si compliqués qu'il leur faut devenir malhonnêtes dès qu'ils parlent, dès qu'ils posent des affirmations et veulent agir en conséquence. »

VOLTAIRE : Candide
« _ Votre pendu se moquait du monde, dit Martin ! vos ombres sont des taches horribles.
_ Ce sont les hommes qui font ces taches, dit Candide, et ils ne peuvent pas s'en dispenser. »

VOLTAIRE : Candide
« _ Mais, dit Candide, n'y a-t-il pas du plaisir à tout critiquer, à sentir des défauts où les autres hommes croient voir des beautés ?
_ C'est à dire, reprit Martin, qu'il y a du plaisir à n'avoir pas de plaisir ? »

VOLTAIRE : Candide
«... et Martin surtout conclut que l'homme était né pour vivre dans les convulsions de l'inquiétude ou dans la léthargie de l'ennui. »

TOURGUENIEV : Assez
« Nous sommes l’un contre l'autre, nos têtes se touchent, nous lisons tous deux un bon livre : je sens une petite veine battre sur tes tempes, je t'entends vivre, tu m'entends vivre, ton sourire naît sur ma bouche avant de naître sur la tienne, tu réponds sans paroles à ma question silencieuse, tes pensées sont les miennes comme les deux ailes d'un même oiseau noyé dans l'azur du ciel... Les dernières cloisons sont abolies et notre amour est si calme, si profond, que rien ne nous sépare, que nous n'éprouvons même pas le besoin d'échanger une parole, un regard... Nous ne désirons que respirer ensemble, vivre ensemble, être ensemble... sans même nous rendre compte que nous sommes ensemble... Ou bien j'imagine cette claire matinée de septembre ou nous nous sommes promenés au jardin désert, mais encore fleuri, d'un château délaissé, sur les bords d'un grand fleuve étranger, à la lumière tendre d'un ciel sans nuages. Comment exprimer tout ce que je sentais alors ? Ce fleuve qui coulait comme un infini, cette solitude, ce calme, cette joie, cette sorte de tristesse enivrante, cette atmosphère de bonheur, cette ville inconnue et uniforme, les cris des corbeaux d'automne dans les arbres hauts, ces tendres paroles et ces tendres sourires, ces regards échangés, longs, doux et pénétrants, cette beauté en nous, autour de nous, de toutes parts, tout cela est plus grand que la parole humaine. »

RENÉ GIRARD : La voix méconnue du réel
« Il est donc logique que les victimes de la maladie mimétique les plus gravement atteintes modèlent leur désir sur celui d’un nombre de plus en plus grand de rivaux heureux. »

RENÉ GIRARD : La voix méconnue du réel
En parlant de Dostoïevski : « Il comprend aussi que le monde moderne est une crise mimétique sans exemple »

RENÉ GIRARD : La voix méconnue du réel
« Tous ceux qui viennent grossir de leur nombre la foule déchaînée transfèrent leurs scandales privés sur une quelconque cible publique »

RENÉ GIRARD : La voix méconnue du réel
« Le désir mimétique est une théorie réaliste qui montre pourquoi les êtres humains sont incapables de réalisme. »

Yukio Mishima : Les Amours interdites
« Quand on pense au bonheur d’autrui, on rêve sans le savoir à une forme d’accomplissement de son propre bonheur, ce qui, tout compte fait, rend plus égoïste que si l’on se souciait de son propre bonheur. »

Yukio Mishima : Les Amours interdites
« Tu m'aimes, je m'aime. Entendons-nous bien. Voilà de l'amour égoïste. Et c'est en même temps l'unique exemple d'un amour réciproque. »

Yukio Mishima : Les Amours interdites
Jacky à Yuichi: « Celui qui aime est toujours tolérant, et celui qui est aimé est toujours cruel. »

Yukio Mishima : Les Amours interdites
En parlant de Shunshuke Hinoki : « Ayant pris conscience de la facilité, il a trouvé en tant qu'artiste, le plaisir de la douleur. »

Pablo Neruda : Le livre des questions
« Dis moi, la Rose est-elle nue
Ou n'a-t-elle que cette robe ? »

Pablo Neruda : Le livre des questions
« Pourquoi le pauvre cesse-t-il de comprendre à peine enrichis ? »

Camus : La pierre qui pousse
« Là bas, en Europe, c'était la honte et la colère. Ici, l'exil ou la solitude, au milieu de ces fous, languissants et trépidants, qui dansaient pour mourir. »

Michel Serres : L'Incandescent
« Les institutions dorment dans le labyrinthe sombre des taupes de l'administration ; la politique blase notre obéissance ; les sociétés, les masses, les foules s'enveloppent dans des groupes où dorment la sottise et la répétition ; la violence et les amours dorment toujours. »

Michel Serres : L'Incandescent
En parlant de l'argent : « Il a tous les attributs, même les plus contradictoires, pour n'en avoir qu'un : un sot riche est un riche ; un sot pauvre est un sot. »

Michel Serres : L'Incandescent
«... : Alors, un groupe financier puissant peut contrôler l'accès aux affiches, aux annonces et aux bruits, pour monopoliser toute définition de la culture et, par sa répétition en tous lieux et en tout temps, la transformer en dollars. »

Michel Serres : L'Incandescent
« Ces anciens savaient donc ce que nous avons oublié, qu'entre la misère de la condition la plus frêle et la toute-puissance divine, l'humain sans hésiter rejoint la faiblesse et la fragilité. »

ALBERT CAMUS : La Peste
« Ils se croyaient libres et personnes ne sera jamais libre tant qu’il y aura des fléaux. »

ALBERT CAMUS : La Peste
Au sujet de Grand et de son œuvre : « Il comprit seulement que l’œuvre en question avait déjà beaucoup de pages, mais que la peine que son auteur prenait pour l’amener à la perfection lui était très douloureuse : “Des soirées, des semaines entières sur un mot… et quelquefois une simple conjonction". »

ALBERT CAMUS : La Peste
En parlant e l’homme, Rambert répond à Tarrou : « mais non, il est incapable de souffrir ou d’être heureux longtemps. Il est donc capable de rien qui vaille. »

ALBERT CAMUS : La Peste
Tarrou, après le discourt sur sa vie : « D’ici là, je sais que je ne vaux plus rien pour ce monde lui même et qu’à partir du moment où j’ai renoncé à tuer, je me suis condamné à un exil définitif. Ce sont les autres qui feront l’histoire. »

MICHEL SERRES : la légende des Anges
Pia : « Nous avons assez transformé ou exploité le Monde, le temps vient de le comprendre. »

MICHEL SERRES : la légende des Anges
Pia : « D’où ces exhibitions inégalitaires : à côté des misérables qui s’épuisent pour manger, les riches gambadent pour crever la dalle… des haillons de clochards égayent les fesses de mélomanes dont certains enfantent la “gauche caviar” qui domine, ignore, méprise parasite et trahit le peuple. »

MICHEL SERRES : la légende des Anges
Pantope : « Injustes, ils n’ont jamais goûté au vin de la force qui délaisse la comparaison. »

HEIDEGGER : Principe de raison
« Il suffit d’un regard compréhensif jeté sur notre age atomique pour voir, si à en croire Nietzsche Dieu est mort, le Monde livré au calcul demeure et que partout l’homme est inclus dans un calcul qui, décomptant toute chose, la rapporte au principe de raison. »

SCHOPENHAUER : Le monde comme volonté et comme représentation , Préface 2° édition
« Car, lorsqu’une fois on a tâté des œuvres sérieuses, rarement continue-t-on à se plaire à la farce, surtout celle du genre ennuyeux. »

SCHOPENHAUER : Le monde comme volonté et comme représentation, Livre 2
« Chez quelques hommes, la connaissance peut s’affranchir de cette servitude, rejeter ce joug et rester purement elle-même, indépendant de tout but volontaire, comme pur et clair miroir du monde ; c’est de là que procède l’art. »

SCHOPENHAUER : Le monde comme volonté et comme représentation, Livre 3
« Aussi, un poète peut-il, comme nous l’avons remarqué, connaître à fond l’homme et connaître fort mal les hommes. »

JEAN ROSTAND : Aux frontières du surhumain
« Seule la réussite prouve qu’une ténacité n’était pas de l’entêtement. »

ANDRÉ Malraux : La condition humaine
Tchen au pasteur Smithson : « La souffrance, j’aime mieux la diminuer que d’en rendre compte. Le ton de votre voix est plein d’humanité. Je n’aime pas l’humanité qui est faite de la contemplation de la souffrance. »

André Malraux : La condition humaine
« Il comprenait maintenant qu’accepter d’entraîner l’être qu’on aime dans la mort est peut-être la forme totale de l’amour, celle qui ne peut pas être dépassée. »

André Malraux : La condition humaine
« toute douleur qui n’aide personne est absurde » pensait Gisors

NIETZSCHE : Humain trop humain
« Touristes : Ils se hissent sur les montagnes comme des animaux, bêtement et ruisselant de sueur ; on a oublié de leur dire qu’il y a en chemin de beaux panoramas. »

ROUSSEAU : Les rêveries, sixième promenade
« Je n’ai jamais cru que la Liberté de l’homme consistât à faire ce qu’il veut, mais bien à ne jamais faire ce qu’il ne veut pas. »

MISHIMA : Le Pavillon d’Or
Hayashi : « Dans ce moment là, j’avais le sentiment d’être immergé jusqu’au cou de cette existence qui était moi-même. »

MISHIMA : Le Pavillon d’Or
« Ces faces de culs terreux, cuites par le soleil, labourées de rides, ces voix rappeuses, ravagées par l’alcool, illustraient bien ce qu’on peut appeler la fine fleur d’une certaine forme de médiocrité. »

PAUL PIERRE MERCIER DE LA RIVIÈRE : L’ordre naturel et essentiel des sociétés politiques
« Par cela seul que l’homme est destiné à vivre en société, il est destiné à vivre sous le despotisme. »

PLUTARQUE : Vie parallèle: Vie d’Alexandre.
Alexandre pose aux gymnosophistes des questions insolubles. La septième question :
« Comment un homme peut devenir Dieu ? »
« En faisant ce qui est impossible à l’homme de faire. »

PLATON : Lois
« Il est recommandé à celui qui veut devenir vraiment riche de réduire sa cupidité, parce que celui qui ne met pas de borne à son avidité n’est délivré de la pauvreté et du besoin. »

THOMAS MORE : Utopie
« Même la pauvreté qui semble avoir l’argent pour remède, disparaîtra dès qu’il aura été aboli. »

ZÉNON :
« Nous avons deux oreilles et une seul bouche, parce que nous devons beaucoup plus écouter que parler. »

CICÉRON : De natura
« L’homme est né pour contempler le monde et vivre en harmonie avec lui. »

ÉPICTÈTE : Entretiens
« La Liberté consiste à vouloir que les choses arrivent, non comme il te plait, mais comme elles arrivent. »

CLÉANTHE :
« A la question "Comment devenir riche ?", il répond "Si l’on est pauvre en désir." »

AUGUSTE COMTE : Discours sur l’esprit positif 
« La solution des principales difficultés sociales dépend réellement des opinions et des mœurs beaucoup plus que des institutions. »

VOLTAIRE : Traité sur la tolérance
« Les lois veillent sur les crimes connus, la religion sur les crimes secrets. »

DIOGÈNE :
« Moins j’ai de bien et plus je me sens libre. »

DIOGÈNE :
« Rien ne surprend le sage car il est près à tout événement. »

ROUSSEAU : Discours sur les sciences et les arts
« Il y a mille prix pour le beau discours, aucun pour les belles actions. »

ROUSSEAU : Réponse au Roi de Pologne
« Des richesses sont nés le luxe et l’oisiveté ; du luxe sont venu les beaux arts, et de l’oisiveté les sciences. »

ROUSSEAU : Discours sur l’inégalité
« En devenant sociable et esclave, il devient faible craintif et rampant. »

ROUSSEAU : Discours sur l’inégalité
« Parmi les passions, qui agitent le cœur de l’homme, il en est une ardente, impétueuse, qui rend un sexe nécessaire à l’autre, passion terrible qui brave tous les dangers, renverse tous les obstacles, et qui dans ses fureurs semble propre à détruire le genre humain qu’elle est destinée à conserver. »

ALBERT CAMUS : Le mythe de Sisyphe
« Savoir si l’homme est libre commande qu’on sache s’il peut avoir un maître. »

ALBERT CAMUS : Le mythe de Sisyphe
« Le seul rôle véritable de l’homme, né dans un monde absurde, était de vivre, d’avoir conscience de sa vie, de sa révolte, de sa liberté. »

THOMAS HOBBES : De la nature humaine
« Voilà pourquoi ceux qui fondent leurs espérances sur quelques qualités personnelles, ont communément de meilleurs succès en amour que ceux qui se fondent sur leurs discours et leurs services. »

SAINT JUST :
« On ne peut régner innocemment. »

ALBERT EINSTEIN :
« Tout notre progrès technologique, dont on chante les louanges, le cœur même de notre civilisation, est comme une hache dans la main d’un criminel. »

NIETZSCHE :
« Nul bonheur, nulle sérénité, nulle espérance, nulle fierté, nulle jouissance de l’instant présent ne pourrait exister sans la faculté d’oubli. »

JEAN ROSTAND :
« On tue un homme, on est un assassin. On tue des millions d’homme, on est un conquérant. On tue tous les hommes, on est Dieu. »

PAUL VALERY :
« Les évènements eux même sont demandés comme une nourriture. S’il n’y a point ce matin quelques malheur dans le monde, nous nous sentons un certain vide. »

KARL MARX :
« Le domaine de la liberté commence là où cesse le travail. »

MICHEL SERRES : Genèse
« Comment les formes naissent-elles de l’informe ? Comment la paix naît-elle de la noise et le contrat social du pillage en tout sens de la tourbe agitée ? »

VLADIMIR NABOKOV : Lolita
« Qu’une enseigne de café proclamait boissons glacées, et elle était automatiquement séduite, même si toutes les boissons étaient partout glacées. Elle était la cible parfaite de toutes les pubs : la consommatrice idéale, le sujet et l’objet de n’importe qu’elle affiches répugnantes. »

ARTHUR SCHOPENHAUER : Métaphysique de l’Amour
« Parce que ces amoureux sont les traites qui cherchent en secret à perpétrer toute cette misère et toutes ces peines, vouées sans eux à une fin prochaine, ils veulent empêcher que tout cela cesse comme leur semblable l’ont fait avant eux »

NIETZSCHE : Ainsi parlait Zarathoustra
Parlant de la vertu : « Indicible et sans nom est ce qui fait les tourments et les délices de mon âme et ce qui est la fin de mes entrailles. »

NIETZSCHE : Ainsi parlait Zarathoustra
« Fuis dans la solitude ! Tu as vécu trop près des petits et des pitoyables, fuis leur vengeance invisible. Fuis vers les contrées où souffle un vent rude et fort. »

NIETZSCHE : Ainsi parlait Zarathoustra
« Oui, il y a en moi quelque chose d’invulnérable, que rien ne serait recouvrir, quelque chose qui fait éclater les rochers, cela a pour non ma volonté, quelque chose qui marche en silence et immuable à travers les années. »

MICHEL SERRES : Le livre des fondations
« Paix à Hercule, à Cacus, à Horace et au roi Romulus, paix à leur historien, et paix sur moi, son récitant. Paix sur mes phrases sans coupable ni cause, paix sur ma lamentation. S’il fallait que je fonde une Rome, aujourd’hui, utopique, je prescrirais son histoire. »

MICHEL SERRES : Le livre des fondations
« Les plus débiles ne désirent que la plus belle, les plus sots n’ont jamais lu que l’auteur le plus lu, n’ont jamais voté que pour le gagnant. »

MICHEL SERRES : Le livre des fondations
« Exemple. Écris un livre beau, écris un livre laid, un livre vrai ou faux, long ou court, qui t’aura demandé mille aubes d’attention et de ferveur, ou trente minutes de bavardage, qu’importe à celui qui le vend, au critique impuissant qui en parle sans le lire, puisque leur jeu est d’argent ou de vent. »

KARL MARX : Le Capital, Livre 1, préface première édition
« Le pays le plus développé industriellement ne fait que montrer à ceux qui le suivent sur l’échelle industrielle l’image de leur propre avenir »

KARL MARX : Le Capital, Livre 1, Chap 3
« Achat : l’argent est la marchandise qui a pour caractère l’aliénabilité absolue parce qu’il est le produit de l’aliénation universelle de toutes les autres marchandises »

KARL MARX : Le Capital, Livre 1, Chap 6
« La seule force qui les mette en présence et en rapport est celle de leur égoïsme, de leur profit particulier et de leur intérêt privé »

KARL MARX : Le Capital, Livre 1, Chap 9
« Le travail est nécessaire pour le travailleur parce qu’il est indépendant de la forme sociale de son travail ; nécessaire pour le capital et le monde capitaliste parce que ce monde a pour base l’existence du travailleur »

KARL MARX : Le Capital, Livre 1, Chap 9
« Les différentes formes économiques revêtues par la société, l’esclavage, par exemple, et le salariat, ne se distinguent que par le mode dont le surtravail est imposé et extorqué au producteur immédiat, à l’ouvrier »

KARL MARX : Le Capital, Livre 1, Chap 13
« Cela vient de ce que l’homme est par nature, sinon un animal politique, suivant l’opinion d’Aristote, mais dans tous les cas un animal social »

KARL MARX : Le Capital, Livre 1, Chap 15
« Même la composition du travailleur collectif par individus des deux sexes et de tout age, cette source de corruption et d’esclavage sous le règne capitaliste, porte en soi les germes d’une nouvelle évolution sociale. Dans l’histoire comme dans la nature, la pourriture est le laboratoire de la vie »

KARL MARX : Le Capital, Livre 1 Chap 16
« Sans un certain degré de productivité du travail, point de temps disponible ; sans ce surplus de temps, point de surtravail, et par conséquent, point de plu-value, point de produit net, point de capitaliste, mais aussi point d’esclavage, point de seigneurs féodaux, en un mot point de classe propriétaire »

KARL MARX : Le Capital, Livre 1, Chap 24
« Il s’en suit que plus le capitaliste a accumulé, plus il peut accumuler »

KARL MARX : Le Capital, Livre 1, Chap 24
« Enfin, accumuler, c’est conquérir le monde de la richesse sociale, étendre sa domination personnelle, augmenter le nombre de ses sujets, s’est sacrifier à une ambition insatiable »

KARL MARX : Le Capital, Livre 1, Chap 25
« … de telle sorte qu’accumulation de richesse à un pôle, c’est égal à accumulation de pauvreté, de souffrance, d’ignorance, d’abrutissement, de dégradation morale, d’esclavage au pôle opposé, du côté de la classe qui produit le capital même »

KARL MARX : Le Capital, Livre 1, Chap 31
« La découverte des contrée aurifères et argentifères de l’Amérique, la réduction des indigènes en esclavage, le commencement de conquête et de pillage aux Indes orientales, la transformation de l’Afrique en une sorte de garenne commerciale pour la chasse aux peaux noires, voilà le procédé idyllique d’accumulation primitive qui signale l’ère capitaliste à son aurore »

KARL MARX : Le Capital, Livre 1, Chap 31
« Mainte capital qui fait aujourd’hui son apparition aux Etats Unis sans extrait de naissance n’est que du sang d’enfants de fabrique capitalisé hier en Angleterre »

ÉRASME : Éloge de la folie
« Si vous consultez l’histoire, vous verrez au contraire que le pire gouvernement fut toujours celui d’un homme frotté de philosophie ou de littérature »

RENÉ GIRARD : la route des hommes pervers
« Si ce n’est pas sur l’autel des sacrifices que les chairs se déchirent, alors c’est à côté, et toujours le sang rejaillit sur la survivante pour raviver ou plutôt susciter la vierge harmonie des aurores post-sacrificielles »

Nietzsche : Le crépuscule des idoles
« Le monde “apparent” est le seul ; le monde “vrai” n’est qu’un mensonge qu’on y rajoute »

Nietzsche : Le crépuscule des idoles
« On est fécond qu’à ce prix : être riche en contradiction »

Nietzsche : Le crépuscule des idoles
« Toute faute, dans tous les sens du terme, est la conséquence d’une dégénérescence de l’instinct, d’une désagrégation de la volonté. Tout ce qui est bon est instinctif et par conséquent facile, nécessaire, libre »

Nietzsche : Le crépuscule des idoles
« Rien n’y fait, il faut aller de l’avant, je veux dire avancer pas à pas dans la décadence (c’est là ma définition du progrès moderne). On peut gêner cette évolution, et, en la gênant, endiguer la dégénérescence, l’accumuler, la rendre plus véhémente et plus brutale : on ne peut rien de plus »

Nietzsche : Le crépuscule des idoles
« Je parle moi aussi de “retour à la nature”, bien qu’à proprement parler, ce ne soit pas une marche en arrière, mais plutôt une montée –une montée vers la haute, la libre, la terrible nature, vers le terrible naturel qui accomplit, comme en s’en jouant, d’immenses tâches, et qui a le droit de s’en jouer »

Nietzsche : Le crépuscule des idoles
«… les soit disant vérité de la Révolution, par lesquels ses effets se font sentir, gagnant à sa cause tout ce que l’humanité compte de plat et de médiocre. La doctrine de l’égalité »

Marc Aurèle : Pensée
« Suprême liberté : il vivra sans rechercher ni fuir quoi que ce soit »

Marc Aurèle : Pensée
« Combien est ridicule et étrange l’homme qui s’étonne de quoi que ce soit qui arrive en la vie »

Marc Aurèle : Pensée 
« Songe que tout n’est qu’opinion et que l’opinion elle-même dépend de toi. Supprime donc ton opinion ; et, comme un vaisseau qui a doublé le cap, tu trouveras mer apaisée, calme complet, golfe sans vagues »

MARC AURÈLE :
« Les hommes sont faits les uns pour les autres. Corrige les donc ou supporte-les. »

ÉPICTÈTE : Pensées
« Si tu veux devenir philosophe, prépare-toi sur-le-champ à être raillé. »

Épictète : Manuel (XIX)
« Tu peux être invincible, si tu ne t’engages dans aucune lutte où il ne dépend pas de toi d’être vainqueur »

Malraux : Les Conquérants
Garine, sur son lit d’hôpital : « C’est après ce procès que l’impression d’absurdité que me donnait l’ordre social s’est peu à peu étendue à presque tout ce qui est humain »

Platon : La République Livre 2
« … et eux, n’en useront-il pas de même à notre égard si franchissant les limites du nécessaire, ils se livrent comme nous à l’insatiable désir de posséder. »

Rousseau : La Nouvelle Héloïse Partie 1, Lettre 3
« Quand je commençais à vous aimer, que j’étais loin de voir tous les maux que je m’apprêtais ! je ne sentis d’abord que celui d’un Amour sans espoir que la raison peut vaincre à force de temps. »

Rousseau : La Nouvelle Héloïse Partie 2, Lettre 1
« J’aime mieux les plaisirs qui sont dans ma mémoire et les regrets qui déchirent mon âme que d’être à jamais heureux sans ma Julie. »

Épicure : Maxime capitale
« Ce qui est bienheureux et incorruptible n’a pas sois-même d’ennuie ni n’en cause à d’autre, de sorte qu’il n’est sujet ni au colère ni au faveur, tout cela se rencontre dans ce qui est faible. »

Nietzsche : Par delà le bien et le mal §61
En parlant de la religion envers le peuple : « C’est pour eux une sorte de transfiguration, d’embellissement et de justification de la vie quotidienne, de toute la bassesse, de toute la pauvreté, presque bestiale de leur âme. »

Nietzsche : Par delà le bien et le mal §72
« Ce n’est pas la force des grands sentiments qui fait les hommes supérieurs, mais leur durée. »

Nietzsche : Par delà le bien et le mal §153
« Ce qui se fait par amour se fait toujours par delà le bien et le mal. »

Nietzsche : Par delà le bien et le mal §167
« Chez les homes dures, l’intimité est affaire de pudeur, et c’est quelque chose de précieux. »

Nietzsche : Par delà le bien et le mal §213
« Les artistes : eux qui savent trop bien que c’est quand ils n’agissent plus “arbitrairement”, quand ils sont poussés par une impulsion nécessaire, que leur sentiment de liberté, de souplesse, de puissance, de création, de plénitude, leur sentiment de la forme arrive à son apogée, bref, que nécessité et “liberté du pouvoir” se confondent alors chez eux. »

Nietzsche : Par delà le bien et le mal §242
« L’homme fort devient nécessairement plus fort grâce au manque de préjugé de son éducation, grâce à la formidable multiplicité de son savoir faire, de son art et de ses masques. »

Nietzsche : Par delà le bien et le mal §284
« Car la solitude est chez nous une vertu, elle est un penchant sublime et un besoin de propreté qui devine que les contacts des hommes “en société” tend inévitablement à devenir malpropre. »

Nietzsche : Par delà le bien et le mal §284
« Toute communauté rend, d’une manière ou d’une autre, à un endroit ou à un autre, à un moment ou à un autre, “commun”. »

RENÉ GIRARD : Des Choses cachées depuis la fondation du Monde
« Tout le monde répète que le Roi est une espèce de “Dieu vivant”, personne ne dit jamais que la divinité est une espèce de “Roi mort”. »

RENÉ GIRARD : Des Choses cachées depuis la fondation du Monde
« Pas de culture sans tombeau, pas de tombeau sans culture ; à la limite, le tombeau c’est le premier et le seul symbole culturel »

RENÉ GIRARD : Des Choses cachées depuis la fondation du Monde
« L’essor scientifique et technologique est de toute évidence lié à la désacralisation de la nature dans un univers où les mécanismes victimaires fonctionne de moins en moins bien. »

RENÉ GIRARD : Des Choses cachées depuis la fondation du Monde 
En parlant du concept virginal : « L’absence de tout élément sexuel n’a rien à voir avec le puritanisme ou le refoulement, imaginé par le XIX° siècle finissant et bien digne, en vérité, de la basse époque qui les a enfanté. »

RENÉ GIRARD : Des Choses cachées depuis la fondation du Monde
« Nous accédons à un degré de conscience et de responsabilité jamais encore atteint par les hommes qui nous ont précédés. »

RENÉ GIRARD : Des Choses cachées depuis la fondation du Monde
« Les modernistes classiques dans son ensemble, Marx, Nietzsche et Freud au premier rang, ne font jamais que nous offrir des boucs émissaires en dernière analyse. »

RENÉ GIRARD : Des Choses cachées depuis la fondation du Monde
« Personne ne peut se passer de l’hypermimétisme humain pour acquérir les comportements culturels, pour s’insérer correctement dans la culture qui est la sienne. »

RENÉ GIRARD : Des Choses cachées depuis la fondation du Monde
« En traitant des manuels de succès érotique : « Ces manuels en savent beaucoup plus que Freud sur le jeu du désir, non parce qu’ils sont écris par des auteurs plus intelligents que lui, mais parce que les choses, depuis Freud, ont évolué dans le sens d’un mimétisme toujours plus déchaîné, toujours plus visible, et c’est là ce qui leur confère leur caractère purement immonde : la dissimulation stratégique est elle-même vulgarisée. »

Nietzsche : Le Gai Savoir, §4
« Non, nous ne trouvons plus de plaisir à cette chose de mauvais goût, la volonté de vérité, de la “vérité à tout prix”, cette folie de jeune homme de l’amour de la vérité : nous avons trop d’expérience pour cela, nous sommes trop sérieux, trop gaie, trop éprouvés par le feu, trop profonds. »

Nietzsche : Le Gai Savoir
« Ce n’est que maintenant que je te crois guéris car se porte bien celui qui a oublié. »

Nietzsche : Le Gai Savoir
« Tu aspires à la gloire ? Écoute donc un conseil : renonce à temps, librement, à l’honneur. »

Nietzsche : Le Gai Savoir, §42
« Travail et ennui – Se trouver un travail pour avoir un salaire – voilà ce qui rend aujourd’hui presque tous les hommes égaux dans les pays civilisés ; pour eux tous le travail est un moyen et non la fin ; c’est pourquoi ils mettent peu de finesse au choix du travail, pourvu qu’il procure un gain abondant. Or, il y a des hommes rares qui préfèrent périr plutôt que de travailler sans plaisir : ils sont délicats et difficiles à satisfaire, ils ne se contentent pas d’un gros gain lorsque le travail n’est pas lui-même le gain de tous les gains. De cette espèce d’hommes rares font partie les artistes et les contemplatifs, mais aussi ces oisifs qui passent leur vie à la chasse ou bien aux intrigues d’amour et aux aventures. Tous cherchent le travail et la peine lorsqu’ils sont mêlés de plaisir, et le travail le plus difficile et le plus dur, s’il le faut. Sinon, ils sont décidés à paresser, quand bien même cette paresse signifierait misère, déshonneur, périls pour la santé et pour la vie. Ils ne craignent pas tant l’ennui que le travail sans plaisir : il leur faut même beaucoup d’ennui pour que leur travail réussisse. Pour le penseur et pour l’esprit inventif, l’ennui est ce “calme plat” de l’âme qui précède la course heureuse et les vents joyeux ; il leur faut le supporter, en attendre l’effet à part eux : - voilà précisément ce que les natures inférieures n’arrivent absolument pas à obtenir d’elle-même ! Chasser l’ennui à tout prix est aussi vulgaire que travailler sans plaisir. Les Asiatiques se distinguent peut-être de cela des européens qu’ils sont capables d’un repos plus profond ; leurs narcotiques même agissent plus lentement et exigent de la patience, à l’encontre de l’insupportable soudaineté de ce poison européen : l’alcool. »

Nietzsche : Le Gai Savoir, §173
« Celui que se sait profond s’efforce d’être clair ; celui qui voudrait sembler profond à la foule s’efforce d’être obscure. Car la foule tient pour profond tout ce dont elle ne peut pas voire le fond : elle est si craintive, elle a si peur de se noyer. »

Nietzsche : Le Gai Savoir, §174
« Mais, en définitive, il est indifférent de savoir si l’on impose une opinion au troupeau ou si on lui en permet cinq. Celui qui diverge des cinq opinions publiques et se range à l’écart à toujours tout le troupeau contre lui. »

Nietzsche : Le Gai Savoir, §195
« Risible – Voyez ! Voyez ! Il fuit les hommes : mais ceux-ci le suivent ; parce qu’il court devant eux, tant il sont troupeau ! »

Nietzsche : Le Gai Savoir, §239
« Un être sans joie suffit pour empoisonner l’atmosphère de toute une maison et pour tout assombrir ; or, il est un miracle quand un tel être n’existe pas ! Le bonheur est loin d’être une maladie contagieuse, d’où cela vient-il ? »

Nietzsche : Le Gai Savoir, §273-274-275
- « Qui appelles-tu mauvais ? Celui qui veut toujours notre honte. »
- « Que considères-tu comme ce qu’il y a de plus humain ? Epargner la honte à quelqu’un. »
- « Quel est le sceau de la liberté réalisée ? Ne plus avoir honte de soi-même. »

Nietzsche : Le Gai Savoir, §299
« Chacun sait maintenant que c’est un signe de haute culture que de savoir supporter la contradiction. »

Nietzsche : Le Gai Savoir, §312
« Ma chienne : j’ai donné un nom a ma souffrance et je l’appelle “chienne”, elle est tout aussi fidèle, tout aussi importune et impudente, tout aussi divertissante, tout aussi avisée qu’une autre chienne – et je puis l’apostropher et passer sur elle mon humeur : comme font d’autre gens avec leur chien, leur valet et leur femme. »

Nietzsche : Le Gai Savoir, §365
« …. Et sous lesquels nous nous rendons en société, c’est à dire parmi des gens déguisés qui ne veulent pas qu’on les dise déguisés. »

ANDRÉ MALRAUX : L’espoir
Capitaine Mercery parlant à Magnin : « Ce ne sont pas les momies qui conservent l’Egypte, c’est l’Egypte qui conserve les momies. »

ANDRÉ MALRAUX : L’espoir
Scali interrogeant l’observateur : « Vous avez encore a apprendre que ni vous ni moi ne connaissons grand chose de la guerre… Nous la faisons, ce n’est pas la même chose. »

ANDRÉ MALRAUX : L’espoir
Garcia à Hernandez : « Parce que les hommes les plus humains ne font pas la révolution, mon bon ami : ils font les bibliothèque ou les cimetières. »

MICHEL DEGUY : Tombeau du Bellay, Le déjeuner sur nappe :
« L’obligation de modeler le journal nous modèle. »

MICHEL DEGUY : Tombeau du Bellay, De ciel et de tungstène :
« L’hôtesse a plus de mille fois plus fait de miles que mille fois tous les conquistadores, qui s’en vanterait. »

MICHEL DEGUY : Jumelages
« L’étrange loi de ne pas aimer, que ma timidité occulte de sa ressemblance, desserrera sa contrainte, et l’éclipse totale par ton image s’éclipsera en un poème. »

MICHEL DEGUY : Donnant donnant
« Le “meilleur des mondes possibles”est que ce monde est celui qui n’en finit pas de ne pas pouvoir finir. »

RENÉ GIRARD : La violence et le Sacré
« il est criminel de tuer la victime parce qu’elle est sacrée ; mais la victime ne serait pas sacrée si on ne la tuait pas. »

RENÉ GIRARD : La violence et le Sacré
« Il est plus difficile d’apaiser le désir de violence que de le déclencher, surtout dans les conditions normales de vie en société. »

RENÉ GIRARD : La violence et le Sacré
« Quand elle n’est pas satisfaite, la violence continue à s’emmagasiner jusqu’au moment où elle déborde et se repend aux alentours avec les effets les plus désastreux. »

RENÉ GIRARD : La violence et le Sacré
Différence entre le primitif qui s’intéresse à la victime et le civilisé qui s’intéresse au coupable : « Si le primitif paraît se détourner du coupable avec une obstination qui passe à nos yeux pour de la stupidité ou de la perversité, c’est parce qu’il redoute de nourrir la vengeance. »

RENÉ GIRARD : La violence et le Sacré
« Les débats grandiloquents sur la mort de Dieu et de l’homme n’ont rien de radical, ils restent théologiques et par conséquent sacrificiels au sens large en ceci qu’ils dissimulent la question de la vengeance, tout à fait concrète pour une fois et plus du tout philosophique car c’est bien la vengeance interminable qui menace de retomber sur les hommes après la mort de toute divinité. »

RENÉ GIRARD : La violence et le Sacré
« La sexualité fait partie de l’ensemble des forces qui se joue de l’homme avec une aisance d’autant plus souveraine que l’homme prétend se jouer d’elle. »

RENÉ GIRARD : La violence et le Sacré
« Le problème immédiat n’est pas l’arrogance du savoir occidentale, ou son “impérialisme” , c’est son insuffisance. »

RENÉ GIRARD : La violence et le Sacré
« Ce sont les écarts différentiels qui donnent aux individus leur “identité”, qui leur permet de se situer les uns par rapport aux autres. »

RENÉ GIRARD : La violence et le Sacré
« L’ordre, la paix et la fécondité reposent sur les différences culturelles. Ce ne sont pas les différences, mais leur perte qui entraîne la rivalité démente, la lutte à outrance entre les hommes. »

RENÉ GIRARD : La violence et le Sacré
« Chacun se prépare contre l’agression probable du voisin et interprète ses préparatifs comme la confirmation de ses tendances agressives. »

RENÉ GIRARD : La violence et le Sacré
« Tout se qui est commun, dans le désir, on croit le savoir mais on ne le sait pas, signifie non harmonie mais conflit. »

RENÉ GIRARD : La violence et le Sacré
« Les hommes ne pratiquent pas le culte de la violence au sens de la culture contemporaine, ils adorent la violence en tant qu’elle leur confère la paix dont ils jouissent jamais. »

RENÉ GIRARD : La violence et le Sacré
« A cause de leurs dimensions considérables et de leur organisation supérieure, les sociétés occi­dentales et modernes paraissent échapper à la loi du retour automatique de la violence. Elles s'imaginent donc que cette loi n'existe pas et n'a jamais existé. Elles qualifient de chimériques et de fantasmatiques les pensées pour qui cette loi est une formidable réalité. Ces pensées sont mythiques assurément, puis­qu'elles attribuent 1'operation de cette loi à une puissance extérieure à 1'homme. Mais la loi elle-même est parfaitement réelle ; le retour automatique de la vio­lence à son point de départ, dans les rapports humains, n'a rien d'imaginaire. Si nous n'en savons rien encore ce n’est peut-être pas parce que nous avons échappé définitivement à cette loi, parce que nous 1'avons « dépassée », mais parce que son application, dans le monde moderne, a été longuement différée, pour des raisons qui nous échappent. C'est là, peut-être, ce que 1'histoire contemporaine est en train de découvrir. »

MICHEL DEGUY : Donnant donnant
« Le “meilleur des mondes possibles” est que ce monde est celui qui n’en finit pas de ne pas pouvoir finir ? »

TOLSTOÏ : Enfance et adolescence
« Je continuais à pleurer et la pensée que mes larmes témoignaient de ma sensibilité me procurait plaisir et réconfort. »

St AUGUSTIN : Les Confessions
Au sujet d’Alypius : « Les yeux fixés, il épuisait cette coupe de démence, sans le savoir, il trouvait du plaisir en ces combats criminel, il s’enivrait de cette volupté sanglante. »

SHAKESPEARE :
« Qui a jamais aimé, s’il n’aima au premier regard. »

KAFKA : La métamorphose
« Mais Gregor ne congeait pas à ouvrir, il se félicita de la précaution qu’il avait prise, à force de voyager, de fermer toujours la porte à clé, même chez lui. »

HANNAH ARENDT : La crise de la culture
« Car une société de masse n’est rien de plus que cette espèce de vie organisée qui s’établit automatiquement parmi les êtres humains quand ceux-ci conservent des rapports entre eux mais ont perdu le monde autrefois commun à tous. »

HANNAH ARENDT : La crise de la culture
« Comparée aux différentes superstitions du XX° siècle, la pieuse résignation de la volonté de Dieu apparaît comme un canif pour enfant en compétition avec des armes atomiques. »

MICHEL SERRES : Guerre mondiale
« Marqué par la guerre et l'abandon, je n'ai jamais levé le poing sur quiconque, y compris pour me défendre, car cette raison défensive me paraît un prétexte pour mieux en découdre et finir par détruire et tuer ; je hais toute concurrence et laisse passer le rival ; je délaisse tout pouvoir ; je préfère souffrir que lancer conflit ou polémique. Je n'aime les mots que désarmés. »